Le vieil adage disait qu’« à force de ménager le bâton, on gâte l’enfant ». Au Canada, nous avons fait du chemin, depuis cette croyance sur l’éducation des enfants (même avec l’article 43 du Code criminel). Pourtant certains parents, notamment les immigrants récents, pourraient ne pas comprendre pleinement à quel point les pratiques disciplinaires traditionnelles ne sont pas acceptables ici. Ils pourraient se retrouver devant une cour criminelle, accusés de voies de fait sur leurs enfants, ou apprendre qu’une société d’aide à l’enfance s’inquiète en pensant que leurs enfants ont besoin de protection.
Pour un procureur de la Couronne, il peut être particulièrement ardu de déterminer la meilleure façon de procéder dans ces cas. Une nouvelle initiative, le Programme de pratiques parentales positives, offre une approche progressive et multidisciplinaire.
Selon mon expérience de procureure, la plupart des gens qui sont accusés d’avoir surdiscipliné leurs enfants n’ont pas eu eux-mêmes d’excellent exemple parental; ils n’ont pas reçu de renseignements à jour sur le développement et l’éducation des enfants; et ils proviennent, souvent, de familles monoparentales défavorisées. Une des prémisses importantes du Programme de pratiques parentales positives est la suivante : les parents accusés de violence envers les enfants aiment leurs enfants, et la réunification de l’unité familiale est l’objectif à viser.
Il existe une tension entre la famille et le système des tribunaux de droit criminel : le but des intervenants en protection de l’enfance est de réunir parents et enfants le plus rapidement possible, et cela crée un conflit fondamental avec les délais du système de droit criminel. Le système fait attendre les gens pour utiliser les protections qu’apporte l’application régulière de la loi. Nonobstant les nouvelles lignes directrices issues de Jordan/Cody, cette réalité n’offre aucun réconfort à l’enfant qui doit témoigner et doit rester séparé de son parent. Cette séparation a un impact profond et durable sur la relation parent-enfant.
Ayant présidé des tribunaux familiaux et criminels depuis plus de 22 ans, je peux affirmer sans hésitation que le Programme de pratiques parentales positives constitue l’innovation la plus importante que j’aie vue dans toute ma carrière juridique. Dans les cas de violence familiale – particulièrement dans les cas de violence parentale envers les enfants –, l’importance de mettre l’accent sur l’intérêt supérieur des enfants ne peut être exagérée si on veut faciliter leur guérison. Selon moi, le Programme de pratiques parentales positives devrait être en fonction dans toutes les cours criminelles.
— M. le juge Harvey Brownstone
Le Programme vise à réunir parents et enfants sans que l’enfant ait besoin de témoigner, et fournit aux parents plus d’outils pour les soutenir le long de leur parcours tandis que les enfants vieillissent. Tout le monde y gagne : les enfants obtiennent l’aide dont ils ont besoin et évitent le stress lié à un témoignage, le parent obtient du soutien dans une relation améliorée avec son enfant, et la collectivité peut se rassurer que la sécurité a été prioritaire étant donné la consultation approfondie qui a lieu dans chaque dossier.
Les conséquences d’une erreur seraient sérieuses; c’est pourquoi le Programme exige une consultation approfondie auprès des agents de police, des intervenants en protection de l’enfance, de l’avocat de garde, de l’avocat de la défense, des avocats en protection de l’enfance et des organismes de service qui aident avec l’éducation parentale. La consultation va bien au-delà de l’examen, et permet aux personnes accusées d’être admises au programme d’intervention précoce en violence familiale, au lieu de passer par la méthode typique de référence basée sur les données historiques que détient la police.
Les références du Programme parental s’appuient sur les renseignements qui proviennent des gens qui connaissent la famille au-delà des allégations. La collaboration entre la famille et le système judiciaire garantit que l’information est de très bonne qualité.
L’approche thérapeutique
L’approche thérapeutique adoptée dans certaines questions de violence conjugale semble en grande partie réussir à prévenir le récidivisme par la thérapie, tout en favorisant la réunification familiale à un stade précoce des procédures. Je croyais qu’il y avait de la place pour une approche similaire de justice réparatrice dans les cas de violence familiale envers les enfants, sous réserve de mesures de protection appropriées.
— Mme la juge Sally Marin
Nous avons vu la croissance de l’approche thérapeutique en droit criminel : les tribunaux consacrés en matière de drogues, les tribunaux chargés des causes de violence familiale, les tribunaux Gladue et les tribunaux de la santé mentale sont maintenant la norme[1].
La justice thérapeutique découle de l’insatisfaction envers le système antagoniste actuel pour toutes les causes. Comme le système antagoniste, le mouvement de la justice thérapeutique a deux objectifs : minimiser le risque d’erreur et protéger la collectivité. Dans ses phases initiales, il était critique que le mouvement ait l’appui de la magistrature.
Le Programme parental a commencé comme projet pilote au palais de justice de Scarborough en avril 2013. Quatre ans plus tard, il a gagné en acceptabilité et est utilisé également à North York. Une fois de plus, la participation de la magistrature était essentielle : les juges ont réuni tous les intervenants pour discuter des enjeux et trouver des solutions, et les ont aidés à trouver un consensus pour que le projet fonctionne.
Notre comité directeur pour le Programme parental était formé des experts suivants : des juges en droit criminel et familial, des avocats en protection de l’enfance, des agences locales de protection, des policiers des unités sur la violence familiale et la violence envers les jeunes des trois divisions de Scarborough, des représentants des agences de services communautaires, un avocat de la défense, un avocat de garde, un avocat en droit de la famille et moi-même, comme représentante du bureau local de la Couronne. Ce groupe s’est entendu sur des protocoles et les a rédigés.
Comment cela fonctionne-t-il ?
- N’importe quelle partie peut envoyer un dossier au Projet si une accusation criminelle est portée.
- Un contact initial avec l’agence de protection des enfants a lieu pour déterminer la catégorie du dossier[2]
- La catégorie 1 comprend les dossiers qui font en même temps l’objet de procédures en droit familial. Lorsque le parent s’inscrit au Programme parental avec l’assistance de l’agence de protection de l’enfance, les accusations criminelles sont retirées. Les juges des cours de la famille sont informés et le système des tribunaux familiaux supervise le dossier : le pire coût que le parent peut devoir payer est de perdre la garde de son enfant sur une base de prépondérance des probabilités.
- Les dossiers de catégorie 2 sont ceux dans le cadre desquels une agence de protection des enfants s’implique auprès de la famille sur une base volontaire. Le parent est adressé par l’agence à un programme parental jugé approprié. Sur présentation d’une preuve d’achèvement du programme, les accusations sont retirées, que l’entente volontaire entre la famille et l’agence de protection de l’enfance se poursuive ou non. Si le cours parental n’est pas complété, il est probable que ce dossier tombe dans la catégorie 1 parce que les inquiétudes relatives à la protection de l’enfant n’ont pas été réglées à la satisfaction de l’agence de protection de l’enfance. Jusqu’à présent, la majorité des dossiers ont appartenu à la catégorie 2.
- Les dossiers de catégorie 3 sont ceux dans le cadre desquels une agence de protection des enfants, si elle a été impliquée, ne l’est plus. On adresse le parent à des programmes parentaux dans la communauté, qui sont appropriés pour l’âge développemental de l’enfant; les accusations sont retirées à la présentation d’une preuve d’achèvement. Le nombre de dossiers de cette catégorie a été relativement bas.
- Le client reçoit des conseils juridiques sur la divulgation de renseignements et, s’il la signe, ces renseignements sont envoyés à l’agence de protection de l’enfance. Une rencontre entre la Couronne, les policiers et l’agence de protection de l’enfance est ensuite organisée pour discuter des besoins de la famille, de la pertinence du cas pour le programme parental et du programme parental approprié. Les avocats de la défense peuvent participer s’ils le souhaitent. En général, la défense aura une autre rencontre préinstance avec la Couronne après cette réunion, avec l’agence de protection de l’enfance et les policiers. En cas d’approbation, le client est adressé au programme parental approprié. Les dossiers des catégories 2 et 3 restent dans le système de justice criminelle jusqu’à preuve d’achèvement. Les dossiers de la catégorie 1 sont retirés tôt, avant l’achèvement, et le juge du tribunal de la famille est averti.
- Les questions de caution sont réglées de manière à permettre un contact même avant la première apparition en cour criminelle lorsque cela est approprié. Certaines restrictions exigent l’approbation de l’agence de protection de l’enfance pour toute modification aux restrictions, dans des termes qui sont clairs pour les deux systèmes.
- Si la référence ne fait pas l’objet d’un consensus, nous (les policiers, l’agence de protection de l’enfance et la Couronne) organisons une téléconférence pour résumer les inquiétudes et nous entendre en collaboration pour ou contre une référence. Parfois, quand on cerne le besoin parental, il y a une composante d’abus d’alcool ou d’autres drogues; pour être admis, l’accusé devrait décider s’il souhaite également obtenir de l’aide avec cet enjeu, car le programme parental est conçu pour traiter des risques de récidive. Les réunions avec l’avocat de la défense/l’avocat de garde continuent à avoir lieu jusqu’à la prise de décision au sujet de la référence.
- Les accusations sont enfin retirées et le parent est averti que la Couronne peut rétablir ces accusations criminelles si une nouvelle allégation de violence envers les enfants se produit dans les 12 mois suivant leur retrait.
Jusqu’à présent, il y a eu peu de décisions de refus. Et, pour autant que j’aie pu le déterminer, le taux de récidive a également été bas : seuls 2 cas sur plus de 100 ont eu comme résultat des accusations criminelles additionnelles impliquant de la violence envers les enfants.
Le but ultime de la réunion des familles lorsque l’agresseur a participé à une thérapie appropriée grâce à une intervention précoce, avant que des obstacles ne se dressent, a renforcé les familles et, finalement, a fourni des environnements plus sûrs pour les enfants.
— Linda Hofbauer, avocate principale, Toronto Children’s Aid Society
À propos de l’auteure
Liesha Earle est le parent en solo de jumeaux[HJ2] . Elle est membre du Barreau de l’Ontario depuis 1993 et a été procureure adjointe à Hamilton, Brantford, Brampton et Scarborough. Pendant plusieurs années, elle a été vice-présidente à l’éducation pour l’Ontario Crown Attorneys’ Association et formatrice/conférencière pour les membres de la profession et les agences externes. Elle a servi de mentor à des étudiants des programmes en sciences judiciaires et en criminologie de l’Université de Toronto.
L’auteure remercie Tony Loparco, anciennement procureur de la Couronne de Scarborough, pour son soutien dans ce projet.
Elle est particulièrement redevable à Mme la juge Wong, qui a réuni tous les acteurs avant de partir pour présider le palais de justice College Park.
[1] Kent W. Roach, Matthew S. Estabrooks, Martha Shaffer, Gilles Renaud, « 180—A Criminal or Therapeutic Justice System? Examining Specialized Treatment Courts » (2017) 64 Criminal Law Quarterly p. 180.