Dans son profil Twitter, Joanne St. Lewis se décrit comme « Prof de droit et artiste noire et féministe qui adore la science-fiction ».
Professeure de common law à l’Université d’Ottawa, elle est la première et la seule femme noire élue comme membre du Conseil du Barreau du Haut-Canada (pour lequel elle a présidé le comité de l’équité et des questions autochtones ainsi que le groupe de surveillance des droits de la personne), chargée de cours au centre d’excellence CREATE sur la sécurité nationale de la University of Southern California, conseillère en droits internationaux de la personne pour les avocats canadiens et pour le Centre de recherche-action sur les relations raciales, ainsi qu’ancienne présidente du groupe de travail de l’Association du Barreau canadien sur l’égalité raciale.
C’est donc dire que St. Lewis a consacré une bonne partie de sa carrière à promouvoir l’égalité.
Juliet Knapton, ancienne présidente du comité sur l’égalité de l’Association du Barreau de l’Ontario, a discuté avec elle d’une idée que St. Lewis avait mise de l’avant durant sa campagne pour devenir membre du Conseil : un bulletin de notes annuel pour mesurer la diversité au sein de la profession juridique.
Comment évaluer ou mesurer l’inclusivité au sein de la profession ?
Je crois qu’il y a différentes façons de mesurer l’inclusivité au sein de la profession : ce sera démographique à un certain niveau, mais à un autre, ce sera une question de changements culturels.
Nous devons avoir une idée cohérente de qui nous sommes exactement comme profession. Je crois que nous avons l’occasion opportune, avec les rapports annuels des membres [du Barreau du Haut-Canada], d’avoir une bonne idée de qui nous sommes selon un certain nombre d’axes relatifs à l’égalité.
Que doit-on mesurer ?
Il faut aller au-delà du sexe. Pouvoir, par exemple, désagréger ce que nous entendons par « handicap ». Je ne crois pas qu’il soit utile de dire simplement « handicap » : il existe un éventail d’incapacités. Je pense en particulier aux distinctions et aux vulnérabilités, aux questions relatives à l’accès physique aux bâtiments, mais aussi, par exemple, à des choses comme la présomption orale dans notre profession, pour les avocats sourds, ou à la façon dont nous utilisons des documents pour les personnes dont la vue est déficiente. Il serait très intéressant de pouvoir comprendre comment les inégalités cumulées au sein des groupes divers affectent en réalité l’aptitude des gens à réaliser leurs objectifs de carrière ou freinent même leur capacité à être embauchés et gardés par les bureaux d’avocats.
De la même façon, je ne crois pas que tous les avocats racialisés soient similaires. Certaines collectivités ont certains défis; je dirais, par exemple, dans un monde post-11 septembre, les gens qui se disent musulmans et sont des personnes qui ont la foi et sont pratiquantes. Je crois que nous tenons pour acquis que tous ceux qui sont racialisés sont automatiquement visiblement identifiables, mais pour un certain nombre de collectivités, notamment les gens provenant du Moyen-Orient, et certainement certaines parties de la collectivité noire ou des collectivités autochtones, il n’est pas éminemment évident, pour les gens du même bureau, qu’ils sont présents.
Et les bureaux dans tout ça ?
Je ne crois pas nécessairement que les bureaux aient le droit de savoir. Les gens ont le droit de choisir comment ils révèlent qui ils sont. Je ne suis pas à l’aise, à ce moment, de promouvoir la désagrégation sur le plan du bureau, car les bureaux ne comportent pas une diversité suffisante pour offrir une confidentialité et un anonymat suffisants.
Qu’en est-il du Barreau du Haut-Canada ?
Comme organe de réglementation, le Barreau du Haut-Canada devrait avoir une idée juste de qui exerce la profession, une idée d’où ils se trouvent et de leurs domaines d’exercice. Cela nous éclaire également sur deux questions : 1) y a-t-il des domaines qui ont besoin d’une plus grande diversité et qui en présentent l’occasion, dans lesquels les gens peuvent apporter leur contribution parce que leur expertise expérientielle d’appartenance à un groupe permettrait de mieux servir les clients ou de contribuer au service des clients dans ces collectivités ? Et 2) une forme subtile de stéréotype ou d’autres facteurs écarte-t-elle les gens [de ces domaines précis d’exercice] ? Les personnes racialisées, celles qui vivent avec une incapacité ou sont des femmes ne souhaitent pas toutes réaliser un travail relié à la justice sociale ni travailler avec ces clientèles. Existe-t-il donc un problème dans le secteur privé, qui fait que les gens ont de la difficulté à imaginer certaines personnes être leur personne-ressource, par exemple en immobilier ?
Je dis tout cela parce que je crois que les données doivent être le point de départ; c’est pourquoi les données démographiques sont importantes. Je ne crois pas que les données démographiques répondront automatiquement à tous les éléments mentionnés, mais je crois qu’il est presque impossible de traiter de ces éléments sans une bonne compréhension de là où se trouvent les gens.
Quelles réglementations entreraient en jeu ?
Le Barreau doit être en mesure de réglementer les bureaux, car les questions des données et des inégalités systémiques se produisent sur le plan de l’agrégation. Nous ne pourrons pas régir les avocats individuellement ni faire parler les avocats si nous ne sommes pas en mesure de dire « si vous êtes un groupe de 10 avocats, vous devez faire montre d’une certaine diversité ou au moins d’expliquer pourquoi vous avez une telle formation. »
Si vous formez un groupe de 25 avocats, je vais insister davantage. Et si vous êtes un bureau comprenant 100 avocats, alors non, vous n’êtes pas une association libre dotée de liberté contractuelle ! À ce niveau, vous avez des obligations, tout comme n’importe quelle autre entité dans notre société, qui est assujettie à des principes d’équité en matière d’emploi. Il ne devrait pas y avoir de raison de ne pas atteindre la parité homme femme. Il ne devrait pas y avoir de raison de manquer de diversité aux échelons supérieurs.
Que se passe-t-il aux échelons supérieurs ?
Ce n’est pas seulement une question de qui s’y trouve; la question est de savoir où ils se trouvent. Les avez-vous gardés ? Mon opinion, que je crois appuyée par les données, est que quand et si on investit pour la diversité, on crée généralement un bassin au bas de la structure hiérarchique de l’institution. Lorsque l’on trouve des gens aux échelons supérieurs, ils doivent encore gérer des taux très inhabituels d’engagement stratégique avec leur firme, car ils sont souvent isolés : il n’y a pas de masse critique.
Nous devons savoir où se situent les gens, nous devons savoir comment les bureaux les gardent, et une fois toutes les données démographiques obtenues, nous devons ensuite être en mesure de nous attaquer à la culture juridique, car au sein de n’importe quelle organisation, la démographie est une manifestation physique de l’efficacité de la transformation des principes d’égalité.
Comment nous assurer que les voix de la diversité sont entendues ?
J’aime bien les entrevues de fin d’emploi. On y dit le genre de choses qu’une personne ne dirait jamais quand elle travaille dans un bureau, parce qu’elle cherche à garder son emploi pour toute une gamme de raisons. Je pense naturellement que dans le contexte juridique, ce procédé est probablement le plus sensé, que l’entrevue soit réalisée immédiatement ou un an plus tard, quand la situation de la personne s’est stabilisée. Les entrevues de fin d’emploi sont utilisées dans le secteur privé, et les grandes entreprises les ont intégrées à leurs pratiques courantes.
C’est un rôle qu’une entité sans lien de dépendance, comme l’ABO, pourrait jouer en garantissant la confidentialité et en offrant un mécanisme permettant aux gens de fournir une rétroaction sur leur expérience, ce qui pourrait contribuer à régler le déséquilibre.
Si l’organisme de réglementation (le Barreau) le faisait, je proposerais qu’on étende le rôle du Conseil juridique en matière de discrimination et de harcèlement. Et l’ABO pourrait vouloir appuyer cela aussi.
Il faudrait qu’elle soit sans lien de dépendance avec les bureaux. Il faudrait que le processus soit entièrement confidentiel. Il devrait être non punitif, car si les gens savaient que révéler leur expérience au sein du bureau mènerait au déclenchement automatique d’une plainte contre le bureau, elles ne fourniraient pas l’information. Il est plus important de savoir comment les gens font l’expérience des choses.
Cela est d’autant plus important lorsqu’on tient compte de la façon dont nous utilisons le terme « intersectionnalité », mais j’y pense davantage comme à des inégalités composées : les femmes racialisées qui tentent de parler de ce nexus, les personnes racialisées avant des handicaps, les personnes autochtones qui sont aussi les plus jeunes du bureau, vivant avec des enjeux relatifs à la pauvreté et aux dettes étudiantes, etc. Tout cela a pu affecter la façon dont ils ont participé au bureau. L’information que nous cherchons sera probablement plus sérieuse lorsqu’elle proviendra des plus vulnérables. Et la structure doit donc leur fournir une protection maximale pour leurs témoignages, ainsi qu’une assurance maximale qu’ils ne feront pas l’objet de représailles professionnelles.
Quels genres de techniques utiliseriez-vous pour garantir l’efficacité ?
Le personnel du Barreau est excellent, ce qui signifie que les gens seraient sûrs que le processus lié à l’information et à la collecte de données serait rigoureux. Si le processus faisait partie du rapport annuel, nous obtiendrions des données longitudinales. Cela nous donnerait une collecte de données uniforme et donc une certaine confiance. Ces données seraient accessibles par toute la profession et ses divers organismes, ainsi qu’au Barreau lui-même, devenant l’une des bases pour le développement de politiques.
Cela se prêterait aussi, même si on ne pense pas à eux ainsi, à différents types de groupes de clients et aux attentes qu’ils ont le droit d’avoir. Le Barreau officie dans l’intérêt du public, mais ce public est varié. Il a le droit de voir que la profession, dans les domaines pour lesquels il a besoin de services, a des avocats à lui offrir qui ont des expertises et des expériences variées. Je ne dis pas que les avocats noirs devraient servir des clients noirs ou que tous les clients noirs veulent des avocats noirs, mais je pense qu’il est important de faire preuve d’une capacité, comme profession dans l’ensemble, à servir ce public varié.
La transparence et la création du bulletin
Du côté technique, l’un des éléments les plus importants est la transparence autour des données et de leur disponibilité.
L’autre serait l’utilisation de deux niveaux : le Barreau a un Groupe consultatif en matière d’équité. Permettons à celui-ci de partager son expertise avec le Barreau pour façonner le bulletin. Cela rassemblerait un groupe de gens représentatifs qui produiraient un document très dynamique.
Conversations continues
Il pourrait être utile d’avoir un dialogue annuel entre, d’une part, les membres du Conseil et la profession et, de l’autre, les entités qui s’occupent de l’équité. Nous pourrions organiser une journée de réunion pour avoir des discussions axées sur la signification de la diversité et de l’équité. On pourrait réunir, par exemple, le Comité d’égalité de l’ABO, la Women’s Law Association of Ontario, l’Association des avocats noirs du Canada, la Roundtable of Diversity Associations et le Groupe consultatif en matière d’équité, tous ensemble avec les membres du Conseil.
On obtiendrait ainsi un type d’imputabilité différent. Le bulletin de notes y serait : il faudrait le relier à une conversation avec les avocats issus des bases les plus directement affectées.
Cette entrevue a été modifiée et condensée.
A propos de l'auteur
Juliet Knapton, Connolly Obagi LLP, ancienne présidente du comité sur l’égalité de l’ABO.