En février 2021, l’Université Laurentienne à Sudbury, une université bilingue reconnue en vertu de la Loi sur les services en français, s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en raison de difficultés financières graves. En juin 2021, le Sénat du Canada a adopté une motion dans laquelle il exprimait ses inquiétudes concernant la fermeture de programmes à l’Université Laurentienne, dont 28 en français (représentant 50% des programmes francophones) et du licenciement de nombreux professeurs, dont environ la moitié étant francophones.
C’est malheureusement un rappel de la difficile réalité à laquelle font face les établissements d’enseignement postsecondaire francophones et bilingues en situation minoritaire au Canada, notamment que l’éducation postsecondaire en français est sous-financée.
Nous notons qu’en 1968, la Commission Laurendeau-Dunton (dont l’enquête a mené à la première Loi sur les langues officielles en 1969) avait publié le deuxième volume de son rapport portant sur l’éducation dans lequel elle recommandait que l’Université Laurentienne se donne comme objectif prioritaire d’augmenter le nombre de ses cours en français.
L’importance des établissements d’enseignement postsecondaire pour les communautés francophones en situation minoritaire
En 1990, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mahe c. Alberta statuait qu’une langue est plus qu’un simple moyen de communication ; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle. Les établissements d’enseignement postsecondaire francophones et bilingues jouent un rôle primordial dans la croissance et le développement linguistique, culturel, social et économique des communautés francophones en situation minoritaire (y compris les francophiles). Comme indiqué par le Commissaire aux langues officielles du Canada dans son Rapport annuel 2020-2021, ces établissements font partie du continuum de l’éducation qui est crucial à la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Droit constitutionnel à une éducation postsecondaire en français ?
L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte ») prévoit le droit des citoyens appartenant aux minorités linguistiques francophones et anglophones du pays de faire instruire leurs enfants dans leur langue lorsque le nombre d’enfants concernés le justifie. L’article 23 a un caractère à la fois préventif, réparateur et unificateur. Selon la Cour suprême du Canada, l’article 23 a non seulement pour objet de prévenir l’érosion et l’assimilation des communautés linguistiques officielles, mais aussi de remédier aux injustices passées et de favoriser leur épanouissement.
Nonobstant que l’article 23 vise expressément le droit à l’instruction dans la langue de la minorité aux niveaux primaire et secondaire, nous sommes d’avis qu’une interprétation large et libérale en fonction de son objectif peut inclure l’instruction au niveau postsecondaire. Dans les dernières décennies, la Cour suprême du Canada a confirmé des concepts jurisprudentiels propres à l’interprétation de l’article 23 qui ne sont pas expressément contenus dans le libellé lui-même, mais qui ont été créés pour suppléer au silence de l’article 23 sur le niveau de services et la qualité d’instruction, comme le droit à la gestion et au contrôle, l’échelle variable et l’équivalence réelle.
La question de savoir si l’article 23 inclut le droit à l’instruction postsecondaire dans la langue de la minorité n’a pas encore été tranchée définitivement par les tribunaux. Cependant, un dossier important à retenir est la situation du Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta à Edmonton (« Campus Saint-Jean »), la seule institution postsecondaire de langue française en Alberta. Selon la poursuite intentée en août 2020 par, entre autres, l’Association canadienne-française de l’Alberta (« ACFA ») contre le gouvernement de l’Alberta et l’Université de l’Alberta, le sous-financement chronique a empêché et empêche le Campus Saint-Jean de remplir ses mandats culturels, linguistiques et éducatifs, y compris de former un nombre suffisant d’enseignants et de personnel francophones pour remédier aux pénuries dans les conseils scolaires francophones de l’Alberta. Entre autres, l’ACFA se fonde sur l’article 23 de la Charte, notamment que le gouvernement de l’Alberta a une obligation de fournir un financement suffisant au Campus Saint-Jean pour former un nombre suffisant d’enseignants et de personnel qualifiés pour les conseils scolaires francophones de l’Alberta.
Il s’agit d’une position juridique tout à fait légitime. Or, l’accès à l’enseignement postsecondaire en français est nécessaire pour non seulement remédier aux pénuries d’enseignants et de personnel francophones qualifiés dans les écoles francophones en situation minoritaire à travers le pays, mais aussi pour garantir une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité. La réalisation de cette équivalence réelle nécessite un financement accru par les gouvernements provinciaux et fédéral.
Intervention fédérale
Bien que l’éducation soit de compétence provinciale/territoriale, le gouvernement fédéral joue un rôle important pour appuyer les établissements d’enseignement postsecondaire à travers les subventions aux établissements, les subventions aux fonds de recherche, les bourses pour étudiants, les contributions aux projets d’investissement, etc. L’engagement du gouvernement fédéral est nécessaire pour assurer un financement accru des établissements d’enseignement postsecondaire francophones et bilingues. Un exemple récent est l’entente de financement conjointe entre les gouvernements fédéral et ontarien en janvier 2020 en vue de soutenir l’Université de l’Ontario français, la première université de langue française gouvernée par et pour les francophones de l’Ontario.
Enfin, nous notons aussi que le projet de loi C-32 déposé en juin 2021 pour moderniser la Loi sur les langues officielles propose de prévoir, de manière explicite, que le gouvernement fédéral s’engage à renforcer les possibilités d’apprentissage dans la langue de la minorité comme suit :
(1.3) Le gouvernement fédéral s’engage à renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires.
[Soulignement ajouté]
À PROPOS DES AUTEURS
Jean-Michel Richardson : Jean-Michel est un avocat recherchiste chez Emond Harnden s.r.l. et membre du Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario.
Kenza Salah: Kenza est sociétaire en propriété intellectuelle chez Osler, Hoskin & Harcourt S.EN.C.R.L./s.r.l. à Ottawa et Vice-Présidente du Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario.
À PROPOS DE CLO
Le Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario a été créé dans les années 1980 pour promouvoir un accès égal à la justice en français au sein du système judiciaire et de la communauté juridique de l’Ontario. Pour plus d’informations, veuillez visiter notre site web.