Quand on me demande pourquoi j’ai quitté la pratique privée, je jette habituellement le blâme sur mon mari. J’explique qu’au moment de notre mariage, il était déjà associé du cabinet où j’étais avocate adjointe. Il était logique que je sois celle qui parte. Nous voulions une famille et je voulais un emploi moins exigeant. La vérité est un peu plus compliquée. Je suis partie parce que je ressentais que je n’étais pas assez bonne pour rester.
Je me souviens d’avoir pensé, pendant que je finalisais des notes de transfert dans les semaines qui ont précédé mon départ, que la personne qui reprendrait mes dossiers se demanderait comment j’avais été embauchée pour commencer. Ce que j’ignorais, c’est que cette peur d’être exposée comme charlatan me suivrait à travers ma carrière, retenant obstinément mes ambitions captives.
L’expression « syndrome de l’imposteur » a été créée dans les années 1970 par deux psychologues, Pauline R. Clance et Suzanne A. Imes. Les personnes atteintes du syndrome de l’imposteur peinent à internaliser leurs réussites, rationalisant leur succès pour en faire une simple question de chance. Malgré des preuves externes et des commentaires positifs, elles se perçoivent comme étant des charlatans intellectuels.
J’ai commencé à ressentir ce sentiment à l’école primaire, durant un cours de mathématique particulièrement gênant. J’étais première de classe, mais toujours nerveuse de lever la main, de crainte de me tromper. Ce jour-là, j’ai décidé d’utiliser un devoir pour me rassurer et je l’ai gardé à la vue, près de l’ouverture de mon pupitre. Quand l’enseignante posait une question à laquelle je croyais pouvoir répondre, je vérifiais sur la feuille et je ne levais ma main qu’après avoir confirmé que ma réponse était la bonne. Le garçon assis à côté de moi (appelons-le Andy) a vu la feuille et ce que j’en faisais. Andy s’est levé devant toute la classe et (en y prenant un malin plaisir, selon moi) a dit que je trichais.
Je repense encore à ce jour-là, en imaginant souvent une conclusion différente, dans laquelle je mets au défi l’enseignante de me poser n’importe quelle question pour que je prouve que je connaissais la réponse. Au lieu de cela, la journée s’est terminée avec Andy me disant qu’il avait toujours su que je n’étais pas si intelligente que ça. Je n’étais qu’une tricheuse.
Des études suggèrent que la plupart des gens ressentiront le syndrome de l’imposteur à un moment ou un autre de leur vie. Le syndrome ne fait pas de discrimination. Il est toutefois important de souligner qu’il affecte plus souvent les femmes et les groupes minoritaires, pour qui il a un impact plus important, car le syndrome amplifie les effets de la discrimination et des biais inconscients. Le sentiment de ne pas être à la hauteur est validé par des indices subtils (ou non) indiquant que vous n’étiez pas à votre place pour commencer.
Rebecca Bromwich, gestionnaire de la diversité et de l’inclusion chez Gowling WLG LLP, explique qu’on peut facilement se sentir comme un charlatan dans les environnements très compétitifs, comme l’exercice du droit. « Il arrive tout le temps que les avocats de la partie adverse, comme les collègues difficiles, minent intentionnellement ou négligemment notre estime de soi et notre santé mentale », dit Me Bromwich.
Dans mon cas, je ne me voyais pas réussir sur Bay Street, mais l’absence de diversité et le « réseau des vieux amis » n’améliorait pas mes perceptions embrumées. J’ai pourtant eu l’occasion de travailler avec de nombreuses femmes qui connaissaient du succès. Elles ont été de fantastiques mentors, m’offrant généreusement leur temps et leur expertise. Mais en aucune d’elle je ne voyais la « moi future ».
Me Bromwich n’est pas surprise que j’aie été incapable de me projeter comme associée ou même comme avocate compétente. « Les biais implicites qui concernent de quoi les avocats devraient avoir l’air, comment ceux-ci devraient parler et agir pour avoir l’air compétents et confiants nous affectent tous, dit-elle. Il est souvent difficile pour les femmes ou pour les personnes issues de groupes historiquement marginalisés de passer outre aux biais qu’ont inconsciemment les clients et les collègues et que nous avons nous-mêmes. »
Alors que peuvent faire les bureaux d’avocats ? Il est crucial, d’abord, que les programmes de diversité et d’inclusion traitent du syndrome de l’imposteur. Ces programmes doivent comprendre de la formation sur la façon de reconnaître rapidement le syndrome de l’imposteur et de mettre en œuvre des soutiens appropriés pour que les personnes les plus à risque soient mieux à même de recadrer leurs pensées avant de se persuader de quitter le bureau ou carrément la profession.
Selon Me Bromwich, la formation doit aller encore plus loin. Elle suggère qu’il vaut mieux mettre sur pied une formation sur le biais inconscient qui soit robuste, porteuse de sens et offerte à l’ensemble du personnel. Chez Gowlings, par exemple, on s’est engagés à former 100 pour cent du personnel, et la formation a déjà été offerte à 75 pour cent.
Près de 25 ans après le début de ma carrière, le syndrome de l’imposteur est encore un défi pour moi. Quand ma peur de la fausseté fait surface, j’y fais face de différentes manières. Je dresse mentalement une liste de mes succès. Je me prépare (et puis je me prépare encore plus) avant les réunions importantes pour calmer mes insécurités et, souvent, j’écris d’avance des questions et je me force à en poser au moins une. Je m’efforce de dire simplement « merci » quand on complimente mon travail. Le plus utile reste de confesser mes sentiments à des amis et collègues. En plus d’offrir leur soutien, ils me rappellent que je ne suis pas seule à avoir ces peurs.
Et quand rien ne fonctionne, je me répète ce que j’aurais dû dire ce fameux jour-là, si lointain : « En fait, Andy, je suis effectivement si intelligente que ça. »
À propos de l’auteure
Yasmin Visram est conseillère générale principale pour iA Groupe financier. Elle est conseillère juridique d’entreprise depuis 20 ans.