Imaginez le cas d’un dossier avec une cause gagnante et un client raisonnable prêt au compromis. À priori, ce sera une affaire facile à régler. Or, la partie adverse se cantonne dans sa position : elle a préparé une solide défense et n’est pas disposée au compromis.
Puis, un jour, vous recevez un appel de l’avocat de la partie adverse qui vous demande : « là, pourrions-nous discuter en toute confidentialité ? »
Ces quelques mots désarmants constituent une invitation à une discussion franche, sans lien avec les positions qui se sont endurcies dans le déroulement du litige. En règle générale, c’est l’amorce d’un règlement qui constitue, évidemment, une bonne chose.
Toutefois, les avocats oublient que les conversations à titre confidentiel engendrent des risques. L’adoption d’une approche trop décontractée peut donner lieu à des malentendus qui mineraient la confiance entre les avocats des parties et qui distanceraient davantage les positions des parties. Les problèmes d’ordre déontologique s’avèrent encore plus problématiques et ceux-là sont davantage oubliés.
Voici donc un exemple qui illustre le problème. Revenons à la réception de l’appel de la partie adverse.
Dès le début de la conversation, l’avocate se distancie de son client. Elle vous dit ceci : « Je ne veux pas paraître déraisonnable – je partage également l’avis qu’il faut régler ce dossier. Mon client est tout simplement difficile ».
Ensuite, l’avocate vous divulgue une information susceptible de vous aider à figurer l’élément manquant pour que vous puissiez obtenir un règlement : « Je sais que mon client se trouve en mauvaise posture, mais il n’en démord pas. Il s’estime lésé et il veut seulement que votre client […] » lui présente ses excuses, lui renouvelle un contrat, lui remette quelque chose ayant une valeur sentimentale ou lui offre autre chose selon le cas.
À la fin de la conversation, l’avocate fixe – bien que ce soit souvent non-dit entre des avocats qui se connaissent et qui se montrent coopératifs – les règles d’utilisation du nouvel élément d’information : « Je n’ai pas reçu d’instruction de faire une offre. En fait, mon client ne veut même pas que je discute d’un règlement avec vous. Alors cette information ne vient pas de moi ».
Voilà une situation qui a pour effet d’empêcher les avocats de partager l’information reçue avec leur client. Autrement dit, la conversation doit non seulement être exclue de la preuve, mais elle doit également être exclue du dossier du client.
Le premier problème réside dans la définition. En fait, l’expression « à titre confidentiel » et l’expression « sous toutes réserves » qui s’y apparente prêtent à équivoque. Au sens habituel et le plus évident, cela signifie une communication destinée à être protégée par le privilège relatif aux règlements. Dans certains cas, c’est le seul sens recherché.
Dans d’autres cas, comme dans l’exemple ci-dessus, ça signifie plus : l’avocat est tenu de ne pas divulguer les détails de la conversation à son client. Le problème est que ce n’est pas toujours ce qui est communiqué. Si l’avocate qui a appelé croyait à la conspiration du silence, elle sera déçue, à juste titre, de recevoir de son homologue une lettre – et elle sera embarrassée d’avoir à la transmettre à son client – lui détaillant les modalités du règlement convenu dans le secret et la remerciant de les lui avoir proposées – même si la lettre porte la mention « sous toutes réserves ».
Ce problème, d’ordre pratique, se résout facilement. Il s’agit de s’entendre sur la signification de l’expression « à titre confidentiel » avant d’entreprendre la conversation.
Les problèmes d’ordre déontologique, en revanche, ne se résolvent pas aussi facilement.
L’avocat qui engage une conversation à titre confidentiel se place dans une situation où il devra cacher des renseignements à son client, c’est-à-dire qu’il manquera de franchise. Ce comportement est susceptible de constituer un manquement à son devoir de franchise et d’honnêteté envers son client.
La nature du entre nous de la discussion à titre confidentiel incite en outre les avocats à la transparence et à en dire trop et cela pourrait constituer un manquement à leur devoir de confidentialité.
Ce problème n’a rien de théorique. La conversation à titre confidentiel vise à créer une zone secrète que le client ne connaîtra pas. Inévitablement, l’avocat qui commet ce genre de comportement est à un cheveu de transgresser les règles de déontologie.
Une solution consiste à éviter à tout prix une telle pratique. Il serait possible de faire valoir que cette pratique équivaut à une représentation juridique exempte de créativité ou négligente qui pourrait être mieux abordée d’une autre façon. Il serait également possible de faire valoir que cette pratique corrompt le rôle de l’avocat – en encourageant en catimini un règlement, tout en montrant publiquement une image unifiée et forte qui fait progresser tous les aspects de la cause du client.
Il y a lieu de penser qu’engager une conversation à titre confidentiel avec circonspection peut constituer une bonne représentation juridique réalisée selon les règles de déontologie. Des entretiens en privé donnent l’occasion aux avocats qui se montrent coopératifs d’explorer les options de règlement ou de circonscrire les questions en litige. Cela leur donne également l’occasion d’aller au-delà des positions rigides et peut-être déraisonnables de leurs clients.
Ce point de vue repose sur le principe de l’indépendance professionnelle de l’avocat. Un avocat efficace a besoin – en fait, il est obligé – de maintenir une distance professionnelle avec la cause de son client. L’avocat n’est pas qu’un porte-parole; il dispose d’une grande latitude pour mener la cause de ses clients comme il l’entend. Les règles de déontologie doivent s’arrimer avec le principe de l’indépendance professionnelle. En effet, les règles de franchise et de confidentialité ne doivent pas recevoir une interprétation trop large qui aurait pour effet d’imposer à l’avocat un devoir de rapporter à son client chaque parole entendue ou d’obtenir le consentement de ce dernier avant d’en prononcer une.
Il est difficile de tracer la limite floue entre une représentation juridique convenable et un comportement contraire à l’éthique, sauf qu’il existe certains paramètres d’une bonne pratique :
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Obtenez le consentement du client si possible. Le commentaire de la règle 3.2-2 du Code de déontologie suggère la possibilité de non-divulgation de renseignements au client pourvu que l’avocat obtienne le consentement de son client.
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Sinon, ne convenez pas avant la conversation que les propos échangés ne pourront pas être rapportés à votre client. Une acceptation formelle vous placera dans une situation indéfendable si vous recevez un renseignement pertinent durant la conversation, comme l’existence d’un fait essentiel inconnu jusqu’à ce moment-là. Vous vous trouverez alors devant un dilemme : ne pas le divulguer au client et manquer à votre devoir de franchise ou le divulguer au client et violer votre engagement avec l’autre avocat.
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N’engagez pas de conversation à titre confidentiel pour faire passer vos intérêts avant ceux de votre client, comme laisser tomber la position de votre client pour protéger votre dossier.
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Gardez-vous d’engager une conversation à titre confidentiel sans avoir bâti au préalable une relation professionnelle de confiance avec l’avocat de la partie adverse.
Il n’y a aucune autorité qui accorde aux avocats le droit d’avoir des conversations à titre confidentiel ni de ligne directrice pour en engager dans la mesure où elles sont permises. Comme pour plusieurs aspects de la pratique du droit, les avocats devront se débrouiller en se fondant sur les règles de déontologie, leur morale et l’esprit d’une bonne représentation juridique.
Me Benjamin D. Arkin est sociétaire chez Whaley Estate Litigation et axe sa pratique dans le domaine du litige, plus particulièrement sur des questions qui se rapportent aux testaments, aux successions, aux fiducies et à la capacite