gloved lab tech picks up frozen embryo sample with tweezers

Qu’arrive-t-il aux embryons lors de la séparation ?

  • 07 juin 2023
  • Emma Katz et Kate Deveau

En 1978, le premier bébé issu d’une fécondation in vitro (FIV) est né. Depuis lors, les taux de FIV au Canada et dans le monde entier sont montés en flèche. Les personnes et les familles se tournent de plus en plus vers les techniques de procréation assistée pour obtenir une grossesse. L’avènement de ces techniques a été révolutionnaire pour les personnes et les familles confrontées à des problèmes de stérilité, ainsi que pour les célibataires et les familles homosexuelles qui, autrement, auraient eu du mal à avoir des enfants par leurs propres moyens.

Grâce aux progrès de la technologie et de la recherche, la congélation d’ovules et d’embryons est un marché en pleine expansion dans le domaine de la médecine reproductive. L’une des nombreuses raisons de congeler des ovules et des embryons est que de nombreuses femmes retardent le moment d’avoir des enfants pour lancer ou développer leur carrière. Les cliniques de fertilité sont connues pour annoncer que la congélation de vos ovules vous fournira une « assurance » pour une grossesse ultérieure. Bien que cela ne soit pas garanti, il ne fait aucun doute que cette option a soulagé les femmes qui ne veulent pas avoir à choisir entre leur carrière et avoir des enfants. 

L’utilisation d’embryons congelés est une question de plus en plus courante pour les conjoints qui se séparent et pour les avocats spécialisés en droit de la famille.

En 2019, dans l’affaire S.H. c. D.H., la Cour d’appel de l’Ontario a été confrontée à la tension entre le droit des contrats, le droit des biens et le droit de la santé. Dans cette affaire, un couple marié a acheté des ovules et du sperme provenant d’un don aux États-Unis (note : la Loi sur la procréation assistée[1] interdit l’achat de gamètes au Canada). Le couple a conclu une entente avec un laboratoire américain et a eu recours à la FIV pour créer quatre embryons, dont deux étaient viables. Aucune des parties n’avait de lien biologique avec les embryons. Les embryons ont été congelés selon un processus appelé cryoconservation. L’un des embryons a été envoyé à un laboratoire en Ontario.

Les parties ont signé avec la clinique de fertilité de l’Ontario un contrat stipulant qu’en cas de séparation, les souhaits de l’épouse seraient respectés. L’épouse a été implantée et un enfant est né. Peu après, les parties se sont séparées. L’épouse a demandé que l’embryon restant lui soit implanté afin que l’enfant des parties ait un frère ou une sœur biologique à part entière. L’épouse a déclaré qu’elle ne demanderait aucune forme de pension alimentaire au mari. Le mari n’était pas d’accord et a déclaré qu’il retirait son consentement préalable.

Le juge de l’instance a appliqué les principes du droit des contrats et des biens et a conclu que l’embryon devait être remis à l’épouse pour qu’elle puisse l’utiliser et que le mari devait être remboursé du coût d’achat de ces gamètes[2]. Les parties ont payé 11 500 USD pour créer quatre embryons en propriété commune. Chaque embryon valait donc 2 875 USD. L’intérêt de l’épouse dans la moitié de l’embryon restant lui donnait donc droit à une indemnité de 1 438 USD. Le mari a interjeté appel. 

La Cour d’appel a accueilli le recours et a conclu que le mari avait le droit absolu de retirer son consentement, ce qui prévalait sur tout accord contractuel contraire[3]. L’épouse ne pouvait pas utiliser l’embryon. La Cour a estimé que ni le droit des contrats ni le droit des biens ne pouvaient s’appliquer. La décision dépendait plutôt de l’interprétation et de l’application de la législation et de la réglementation en vigueur.

Au Canada, le Parlement a imposé un modèle fondé sur le consentement plutôt que sur le contrat par l’entremise de la législation et des règlements, et en vertu de ces règlements et de la législation énoncés dans la Loi sur la procréation assistée (LPA) et le Règlement sur la procréation assistée (article 8 de la Loi) (Règlement sur le consentement)[4], il est interdit d’utiliser un embryon in vitro à quelque fin que ce soit sans un consentement écrit conforme à la réglementation.

L’article 10, paragraphe 1, point b), du Règlement sur le consentement prévoit que le terme « donneur » inclut un couple de conjoints au moment de la création de l’embryon in vitro, même si aucune des personnes du couple n’apporte de matériel reproductif à l’embryon. L’article 14, paragraphe 3, du Règlement sur le consentement prévoit que si le donneur est un couple, l’un des conjoints peut retirer son consentement avant que l’embryon ne soit utilisé.

Ensemble, ces dispositions signifient que, bien qu’ayant conclu un contrat en Ontario pour permettre à l’épouse de disposer unilatéralement de l’embryon selon ses souhaits, le mari avait le droit de changer d’avis, de sorte que le contrat serait annulé. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Sur la base de la discussion dans l’affaire, la même chose aurait été vraie si les deux parties étaient génétiquement liées à l’embryon. En revanche, si une seule personne est génétiquement liée à l’embryon, l’article 10(3) considère que l’ex-conjoint génétiquement lié à l’embryon est le seul donneur de celui-ci. Par conséquent, lorsqu’une seule personne est génétiquement liée à l’embryon, il est possible d’inclure des clauses relatives à ces embryons dans un accord de séparation.

Cette affaire a des implications importantes pour les personnes qui créent des embryons sans en avoir connaissance et qui se séparent ensuite. Ces consultations peuvent être déchirantes, en particulier lorsque la cliente est une femme qui a congelé des embryons dix ans auparavant, plutôt que des ovules, et qui a depuis reçu l’avis médical qu’elle n’était plus en mesure de produire des ovules.

Nous ne voulons pas passer pour des avocates pessimistes : il vaut la peine d’envisager la congélation d’ovules lorsque vous vous apprêtez à congeler des embryons. Les statistiques de séparation ne mentent pas, pas plus que les statistiques de fertilité. Épargnez-vous un chagrin d’amour et posez des questions sur la congélation d’ovules lors de votre rendez-vous pour la congélation d’embryons.


[1] Loi sur la procréation assistée (L. C. 2004, ch. 2)

[2] S.H. c. D.H., 2018 CSON 4506.

[3] S.H. c. D.H., 2019 CAON 454.

[4] Règlement sur la procréation assistée (article 8 de la Loi), DORS/2007-137.

 

Cet article a d’abord été publié sur la page des articles de la section Droit de la famille.