Il est très important qu’une partie à une procédure à laquelle la partie adverse doit des dépens puisse récupérer l’intégralité du montant dû. Un litige peut être une procédure longue et coûteuse, et l’attribution des dépens par le tribunal est un moyen de récompenser la partie qui a obtenu gain de cause dans le litige ou la procédure. La partie à laquelle les dépens sont dus voudra très probablement avoir l’assurance que ceux-ci seront payés par l’autre partie à la fin du litige ou avant que d’autres mesures ne soient prises dans le cadre d’une procédure ou d’un appel. Dans les affaires en droit de la famille, où de nombreuses parties essaient d’éviter d’engager des frais importants, il est essentiel de savoir comment les clients peuvent récupérer leurs dépens — si une ordonnance est rendue pour que leurs dépens soient payés en tout ou en partie ; c’est particulièrement le cas si une partie fait des efforts raisonnables pour régler l’affaire dès le début, mais que l’autre partie insiste pour plaider, sans prendre de mesures raisonnables pour en arriver à un règlement. Par conséquent, il est essentiel de connaître les règles et les stratégies qui peuvent être envisagées pour obtenir un cautionnement pour dépens au cours d’une procédure ou dans l’attente d’un appel, ainsi que les options disponibles pour faire exécuter le paiement de dépens attribués.
Le cautionnement pour dépens dans le cadre d’un recours et d’une procédure
Dans l’attente d’un appel, une partie peut demander un cautionnement pour dépens. Dans la récente affaire Gill c. MacIver, 2023 ONCA 776, une juge de la Cour d’appel, saisie de la requête, a défini les critères juridiques pour obtenir un cautionnement pour dépens dans l’attente d’un appel. Essentiellement, il incombe à la partie requérante de démontrer : 1) qu’il existe de bonnes raisons de croire que l’appel est à la fois frivole et vexatoire, et que l’appelant n’a pas suffisamment d’actifs pour faire face aux coûts de l’appel ; ou, 2) qu’il existe de bonnes raisons d’ordonner un cautionnement pour dépens.
La juge saisie de la requête a spécifiquement noté que bien que le sens des termes « frivole et vexatoire » en vertu de la règle 60.06(1)(a) des Règles de procédure civile, R.R.O. Règl. 194 ne soit pas défini dans les Règles, il a été étudié dans la jurisprudence. Plus précisément, après avoir examiné un certain nombre de cas, la juge a noté qu’un « appel “frivole” comprend un appel facilement reconnaissable comme dépourvu de mérite, comme un appel ayant peu de chances de succès. […] Un recours “vexatoire” est un recours intenté pour “ennuyer ou embarrasser la partie adverse” ou mené “avec moins de diligence” ou de manière vexatoire, par exemple en ne se conformant pas aux ordonnances du tribunal ou aux Règles[1] ».
De même, la juge saisie de la requête a noté que l’autre critère de la règle 61.06(c), à savoir « s’il y a une bonne raison d’ordonner un cautionnement pour dépens », n’est pas précisé dans les Règles, mais a également été exploré dans la jurisprudence. Plus précisément, comme indiqué dans Heidari c. Naghshbandi, 2020 ONCA 757, 153 O.R. (3 d) 756, au para. 23, « [b]ien que la liste des motifs justifiant la constitution d’un cautionnement en vertu de cette catégorie résiduelle ne soit pas close, “l’autre bonne raison” doit être : (1) compatible avec l’objet du cautionnement pour dépens — à savoir que l’intimé a droit à une mesure de protection relative aux dépens ; et (2) assez convaincante, car la catégorie résiduelle n’est utilisée que lorsque l’intimé ne peut pas satisfaire aux exigences des règles 61.06(1)(a) ou (b) ». En fin de compte, la juge saisie de la requête a rejeté la demande de cautionnement de l’intimé/de la partie requérante, estimant que le critère juridique du cautionnement pour dépens n’était pas atteint[2].
En revanche, dans une autre affaire récente, Bank of Nevis International Ltd. c. Kucher, 2023 ONCA 793 (CanLII), le juge de la cour d’appel saisi de la requête a rendu une ordonnance de cautionnement pour dépens contre l’appelant, d’un montant de 25 000 $ pour l’appel et de 50 000 $ pour la requête sous-jacente, payable dans un délai de 30 jours. Le juge était convaincu que l’appel était frivole et qu’il y avait d’autres bonnes raisons d’ordonner un cautionnement.
Le cautionnement pour dépens dans les procédures de droit de la famille
En vertu de la règle 24(13) des Règles en matière de droit de la famille, Règl. de l’Ont. 114/99, une partie peut demander une ordonnance obligeant le conjoint payeur à verser au tribunal une somme d’argent qui couvrira ses dépens si elle obtient gain de cause dans l’action en justice. Le critère de la règle 24(13) exige qu’un ou plusieurs des facteurs suivants soient présents :
- La partie réside habituellement à l’extérieur de l’Ontario.
- La partie a obtenu, dans la même cause ou dans une autre, une ordonnance condamnant l’autre partie aux dépens et ceux-ci sont toujours impayés.
- La partie est une société et il existe de bonnes raisons de croire qu’elle ne possède pas suffisamment d’éléments d’actif en Ontario pour payer les dépens.
- Il existe de bonnes raisons de croire que la cause constitue une perte de temps ou a été introduite dans l’intention de causer des embêtements et que la partie ne possède pas suffisamment d’éléments d’actif en Ontario pour payer les dépens.
- Une loi accorde à la partie le droit d’obtenir un cautionnement pour dépens.
Dans l’affaire Sparr c. Downing, 2024 ONSC 872 (CanLII), parmi les autres préoccupations du tribunal, un certain nombre d’ordonnances de dépens restaient impayées à la date de la requête et l’intimée avait ignoré des ordonnances de la Cour supérieure de justice et de la Cour d’appel dans le cadre d’une procédure de droit de la famille. En conséquence, le juge saisi de la requête a estimé qu’il était compétent pour rendre une ordonnance de cautionnement des dépens sur la base d’un ou de plusieurs des facteurs cités dans la Règle 24(13).
Dans l’affaire matrimoniale Hevey c. Hevey, 2023 ONSC 4864 (CanLII), la Cour divisionnaire a accordé à la partie intimée dans un appel une ordonnance de cautionnement pour dépens. Ce faisant, la Cour a examiné les Règles en matière de droit de la famille et les Règles de procédure civile à l’appui de la demande de la partie intimée — l’épouse — en vue d’obtenir un cautionnement des dépens. En particulier, la Cour a examiné la Règle 38(26) des Règles en matière de droit de la famille, qui traite du cautionnement pour dépens en appel. La Règle 38(1) traite des recours devant la Cour divisionnaire et la Cour d’appel et prévoit que les articles 61, 62 et 63 des Règles de procédure civile s’appliquent ; la Règle 38(26) renvoie aux facteurs spécifiques du paragraphe 24(13) des Règles en matière de droit de la famille pour rendre une ordonnance de cautionnement pour dépens.
L’exécution des cautionnements pour dépens
Si vous n’avez pas obtenu d’ordonnance de cautionnement pour dépens et/ou qu’une ordonnance de dépens n’est pas payée, il existe des recours pour l’exécution des paiements monétaires. Ces recours comprennent la saisie-arrêt, l’enregistrement d’une charge sur les biens du payeur pour le montant dû[3] et l’obtention d’une ordonnance pour que le montant dû au titre des dépens soit payé par l’entremise d’un transfert d’un montant dans le cadre d’un régime de pension ou d’un REER (majoré du taux d’imposition moyen du bénéficiaire) ou d’une procédure d’exécution à partir des autres actifs du payeur.
Dans l’affaire Abu-Saud c. Abu-Saud, 2020 ONCA 824, la Cour d’appel a ordonné que le cautionnement pour dépens soit garanti par les actifs de l’ancien mari payeur en raison de son manque flagrant de respect des ordonnances de pension alimentaire antérieures du juge de première instance. Au moment de l’ordonnance, il ne restait plus de fonds provenant du paiement antérieur que le mari avait été condamné à verser au tribunal à la suite de la requête antérieure de l’épouse en vue d’obtenir un cautionnement pour dépens. Dans l’affaire Van Delst c. Hronowsky, après que l’ancien mari ait fait appel (deux fois) et n’ait pas payé les ordonnances de dépens en souffrance et le paiement compensateur dû en espèces (malgré les ordonnances du tribunal), le juge de première instance a finalement ordonné que les ordonnances de dépens impayées, ainsi que le solde résiduel dû à l’épouse pour un paiement compensateur, puissent être payés à partir de la pension de l’ancien mari, par l’entremise d’une demande en vertu de la Loi sur le partage des prestations de retraite (LPPR) (en majorant les montants dus à l’ancienne épouse de son taux d’imposition moyen)[4].
En combinant les règles 1(8), 2 et 26 des Règles en matière de droit de la famille, le tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait aux mesures d’exécution en cas de défaut d’exécution des ordonnances relatives aux dépens. En d’autres termes :
- La règle 1(8) des Règles en matière de droit de la famille donne au tribunal le pouvoir discrétionnaire de rendre « toute ordonnance qu’il juge nécessaire afin d’assurer une résolution équitable de la question ». Le non-respect par une partie des ordonnances du tribunal déclenche l’application de la Règle 1(8) ;
- La Règle 2 précise que l’objectif premier des Règles est de permettre « permettre au tribunal de traiter les causes équitablement ». Certains des critères permettant de traiter les affaires de manière équitable sont énoncés à la Règle 2(3) ; et
- La Règle 26(2) stipule qu’une ordonnance qui n’a pas été observée peut, en plus de tout autre moyen d’exécution prévu par la loi, être exécutée conformément aux paragraphes (3) et (4). Les paragraphes (3) et (4) définissent différentes options d’exécution, notamment un interrogatoire sur la situation financière (Règle 27[11]), la saisie-exécution (Règle 28), la saisie-arrêt (Règle 29) et une audience sur le défaut si l’ordonnance est une ordonnance alimentaire (Règle 30).
Garder à l’esprit ce résumé des affaires et les règles applicables devrait être utile à toute personne essayant d’exécuter et/ou d’obtenir un cautionnement pour dépens.
[1] Gill c. MacIver, 2023 ONCA 776 (CanLII) au para. 3.
[2] Gill c. MacIver, 2023 ONCA 776 (CanLII) au para. 7.
[3] Voir M.P. c. W. P., 2014 ONSC 6768. Dans cette affaire, une charge a été enregistrée sur une maison appartenant au mari payeur pour garantir le paiement compensateur qu’il devait à son épouse. L’épouse a demandé que les dépens qui lui étaient dus soient garantis par la même charge. La Cour a toutefois rejeté cette demande, car il n’y avait pas de défaut dans les ordonnances relatives aux dépens au moment de la demande.
[4] Van Delst c. Hronowsky, 2020 ONCA 339 ; 2021 ONSC 2353 et 2022 ONCA 881.