Les recherches indiquent qu’entre 15 et 20 % de la population est neurodivergente et que le sous-diagnostic persiste. Il y a donc de fortes chances que vous collaboriez déjà avec un collègue neuroatypique, que vous le sachiez ou… qu’il le sache ou non. Qu’est-ce que cela signifie, en termes pratiques, pour le milieu juridique ? Pourquoi devriez-vous vous préoccuper de la neurodivergence ? Wanda Deschamps est la fondatrice et la directrice de Liberty Co, une société-conseil qui vise à accroître le niveau de participation de la population neuroatypique. Ayant reçu un diagnostic d’autisme alors qu’elle avait atteint la quarantaine, elle est en mesure de répondre à ces questions. Dans le cadre de la Conférence juridique de l’Ontario de l’ABO, en février, elle a aussi lancé un appel à l’action convaincant, dans un discours éclairant, intitulé « Working Toward Neurodiversity Inclusion » (Travailler pour l’inclusion de la neurodiversité).
La diversité neurologique fait référence aux différences naturelles qui existent dans la composition du cerveau humain. La neurodiversité englobe un spectre d’une grande variété, mais les formes de neurodivergence comprennent la dyslexie, la dyspraxie, le trouble du déficit de l’attention et de l’hyperactivité et l’autisme. Ce qui est important, du point de vue de Mme Deschamps, c’est l’élément « naturel » — le fait que, comme elle le dit, « il n’y a rien à enlever, rien à effacer ». Au contraire, dit Mme Deschamps, « le cerveau neurodivergent produit des forces uniques » — non pas en dépit, mais en raison de sa composition. Parce que les personnes neuroatypiques traitent l’information différemment, elles produisent des idées novatrices. Cela fait d’elles des atouts dans tous les domaines et dans tous les milieux de travail, du cubicule au bureau de la direction, car, comme le dit Mme Deschamps, « nous ne pouvons pas compter sur les mêmes cerveaux pour apporter les mêmes solutions aux problèmes que nous avons toujours eus. »
Malgré le talent et les perspectives uniques qu’elles peuvent apporter, les personnes neuroatypiques sont sous-employées ou au chômage de manière disproportionnée — en grande partie à cause des systèmes, des pratiques, des communications et des environnements de travail qui n’ont pas été conçus en fonction d’elles. Ces échecs en matière d’inclusion signifient également que les personnes neuroatypiques sur le lieu de travail sont souvent obligées de « masquer », c’est-à-dire de cacher leurs traits naturels ou de modifier leur comportement pour s’intégrer, ce qui contribue à l’épuisement professionnel et aux taux plus élevés d’anxiété et de dépression que connaissent les personnes neurodivergentes.
En tant que meneurs de la promotion d’organisations et de cabinets juridiques inclusifs, innovants et prospères, que peuvent faire les avocats pour combattre la stigmatisation, les biais et le capacitisme, et pour construire des lieux de travail qui fonctionnent pour tous les cerveaux ?
Des processus de recrutement actualisés et améliorés
Selon Mme Deschamps, les processus de recrutement et de rétention obsolètes expliquent en partie pourquoi les personnes neuroatypiques sont disproportionnellement au chômage. S’engager à respecter les principes de l’emploi inclusif — « ne pas se contenter de dire, mais le mettre en pratique » — est la première étape pour remédier à cette situation. Les offres d’emploi et les autres communications relatives à l’embauche doivent utiliser un langage inclusif, en mentionnant spécifiquement la neurodiversité. Le format traditionnel de l’entrevue peut poser des difficultés excessives aux candidats neuroatypiques. Afin d’uniformiser les règles du jeu et de donner à tous la meilleure chance de démontrer la valeur qu’ils peuvent apporter, les employeurs pourraient envisager de communiquer les questions à l’avance, d’accepter les candidatures vidéo, de poser des questions qui suscitent des réponses, avec des amorces comme « Parlez-moi de… » ou « J’ai remarqué que… », et d’assigner aux candidats des tâches dans le cadre du processus d’entrevue pour leur permettre de démontrer leur capacité à faire le travail.
Une communication claire, directe et cohérente
Comme pour toutes les mesures d’EDI, il ne devrait pas incomber à un seul groupe de créer une culture d’intégration, explique Mme Deschamps : « Il s’agit d’une responsabilité partagée. » En milieu de travail, cela pourrait nécessiter une communication plus claire : éviter les expressions idiomatiques, offrir aux membres de l’équipe une rétroaction et des instructions directes et leur demander de les répéter, et préparer et partager systématiquement les ordres du jour avant les réunions. Étant donné que certains employés neurodivergents n’auront pas révélé leur différence ou n’auront même pas été diagnostiqués, ces pratiques devraient être appliquées de manière universelle, selon le même principe que celui qui sous-tend la conception inclusive.
Plus d’accent sur les objectifs communs, moins de jugement
Mme Deschamps s’empresse de le souligner : « Je ne suggérerais jamais qu’il ne faut pas demander des comptes aux personnes neuroatypiques. » Mais elle encourage à recadrer notre pensée et à adopter de nouvelles approches pour inspirer les meilleures performances de chaque employé, en mettant l’accent sur les intérêts, les objectifs et les avantages communs, et en limitant les jugements. À titre d’exemple pour les alliés potentiels, elle suggère qu’au lieu de rejeter les contributions d’un collègue en raison de son style de communication, il faut lui proposer des questions à choix multiples pour l’aider à clarifier son raisonnement et se concentrer ensuite sur ses idées les plus fortes. Plutôt que de considérer comme un problème une personne qui signale des erreurs ou des difficultés, il faudrait demander à un membre de l’équipe de proposer de relier les points soulevés par cette personne aux buts et objectifs de l’équipe. Plutôt que de critiquer quelqu’un qui se déconcentre ou qui ne gère pas bien son temps, proposez-lui de consacrer du temps à ses projets les plus importants, en lui fixant un délai précis pour les mener à bien. Le fait de proposer des horaires et des lieux de travail flexibles, l’accès à des espaces calmes et/ou à des écouteurs, ainsi que différents types de communication et de socialisation sur le lieu de travail, sera apprécié par tous les membres de l’équipe et leur sera bénéfique.
Normaliser les conversations et créer des plans d’action autour de la neurodiversité
En tant que meneurs inclusifs, les avocats peuvent normaliser les conversations sur la neurodiversité et créer des plans d’action pour le milieu de travail qui sont basés sur des approches sensibles à la neurodiversité.
Comme le dit Mme Deschamps, « il s’agit d’apprendre à connaître la personne tout en reconnaissant tous les aspects de l’identité personnelle […] l’humilité, la curiosité, l’appréciation de la pensée différente et une communication claire dans les deux sens ».
Mme Deschamps se souvient de sa difficulté à s’intégrer en milieu de travail : elle aimait les discussions sur la stratégie, mais n’aimait pas les ragots. « Au fond de moi, dit-elle, je pensais que j’étais stupide. » Déjà en thérapie pour son anxiété, elle a fini par faire une dépression au travail. Les choses se sont arrangées lorsque son fils a reçu un diagnostic dans lequel elle s’est reconnue… ce qui a conduit à son propre diagnostic d’autisme, juste un mois avant son 47e anniversaire. Aujourd’hui, celle qu’elle appelle « la vraie Wanda » est une puissante défenseure de l’inclusion et une meneuse de la révolution de l’inclusion, un mouvement mondial qui a pour but d’élargir la réflexion sur le handicap, en particulier sur l’emploi des personnes handicapées.
Si la défense des droits joue un rôle important dans sa vie, le plus grand exploit de Mme Deschamps est de montrer l’exemple. « La chose la plus importante que je fais, dit-elle, est de montrer à mes deux fils neuroatypiques comment vivre la vie sans honte, sans peur et sans hésitation en tant que personne neuroatypique. »