Mise en contexte
Le gouvernement fédéral a déposé le 1er mars 2022 le projet de loi C-13 (titre abrégé : Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada) visant à moderniser la Loi sur les langues officielles (ci-après la « LLO ») dont l’examen en comité est en cours. L’objet du présent article est d’offrir un survol de certaines des modifications proposées que nous jugeons importantes dans ce projet de réforme du régime linguistique qui avait été initié en 2018 par l’ancienne ministre des Langues officielles, l’honorable Mélanie Joly, et suspendu lors des élections fédérales de 2021. Toutefois, il est important de noter que le projet de loi C-13 propose de nombreuses autres modifications à la LLO.
La partie 1 du projet de loi C-13 apporte plusieurs modifications à la LLO. Il s’agit de changements importants en matière d’accès à la justice, d’éducation, d’immigration, de culture et de bilinguisme officiel. Conformément à la vision identifiée dans le « livre blanc » (2019) de l’ancienne ministre des Langues officielles, le projet de loi C-13 codifie, entre autres, plusieurs règles interprétatives et met en place des mesures administratives pour en assurer la conformité.
La partie 2 du projet de loi C-13 édicte également la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, laquelle prévoit des droits et des obligations concernant l’usage du français comme langue de service et langue de travail au sein des entreprises privées de compétence fédérale au Québec et, à une date ultérieure, dans des régions à forte présence francophone. Toutefois, le présent article se concentrera sur la partie 1, soit les modifications proposées à la LLO.
Dans un article précédent, nous avions espéré que la réforme linguistique aurait introduit la reconnaissance d’une capitale nationale bilingue; malheureusement aucune référence à cet effet n’existe dans le texte législatif proposé. Néanmoins, nous espérons que le projet de loi C-13 dans sa version actuelle sera adopté sans délai et que les règlements nécessaires pour sa mise en œuvre suivront.
Modifications proposées
Règles interprétatives conforment aux principes jurisprudentiels
Pour l’application de la LLO, le projet de loi C-13 propose que les droits linguistiques : (i) doivent être interprétés d’une façon large et libérale en fonction de leur objet; (ii) doivent être interprétés en fonction de leur caractère réparateur; et (iii) l’égalité réelle est la norme applicable à ces droits. Cette modification proposée vient codifier des principes jurisprudentiels importants.
La notion des « mesures positives » est clarifiée
Le projet de loi C-13 renforce et clarifie la notion des « mesures positives » à l’article 41 dans la partie VII de la LLO portant sur la promotion des langues officielles.
Le projet de loi C-13 propose diverses modifications à l’article 41 de la LLO concernant les engagements du gouvernement fédéral qui visent à (entre autres) : (i) favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne; (ii) protéger et promouvoir le français; et (iii) renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment de la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires.
Plus particulièrement, le projet de loi C-13 propose de préciser que les mesures positives sont : (i) concrètes et prises avec l’intention d’avoir un effet favorable sur la mise en œuvre des engagements susmentionnés; et (ii) prises tout en respectant la nécessité de protéger et promouvoir le français dans chaque province et territoire, et en fonction des besoins propres à chacune des deux collectivités de langues officielles.
Le projet de loi C-13 propose aussi de préciser que les mesures positives peuvent comprendre toute mesure visant :
- à promouvoir et à appuyer l’apprentissage du français et de l’anglais au Canada;
- à favoriser l’acceptation et l’appréciation par le public du français et de l’anglais;
- à inciter et à aider les organisations, associations et autres organismes à refléter et à promouvoir, au Canada et à l’étranger, le caractère bilingue du Canada;
- à appuyer la création et la diffusion d’information en français qui contribue à l’avancement des savoirs scientifiques dans toute discipline; et
- à appuyer des secteurs essentiels à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, notamment ceux de la culture, de l’éducation (de la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires), de la santé, de la justice, de l’emploi et de l’immigration, et à protéger et à promouvoir la présence d’institutions fortes qui desservent ces minorités.
Les juges de la Cour suprême du Canada doivent être bilingues
Le projet de loi C-13 propose que l’article 16 de la LLO soit modifié pour assurer que le droit d’être entendu par un juge dans la langue officielle de son choix, sans interprète, s’étend aux juges de la Cour suprême du Canada (le projet de loi C-13 retire l’exception se trouvant au paragraphe 16(1) de la LLO visant la Cour suprême du Canada). Cette modification proposée reflète l’engagement du gouvernement fédéral à nommer des juges bilingues à la Cour suprême du Canada pour favoriser l’accès à la justice et reconnaître le bilinguisme du système de justice à l’échelle nationale.
Les pouvoirs du commissaire aux langues officielles sont élargis
Le projet de loi C-13 confère des pouvoirs de contrainte au commissaire aux langues officielles pour assurer une meilleure conformité à la LLO en lui permettant de : (i) conclure des accords de conformité et de rendre, dans certains cas, des ordonnances; et (ii) d’imposer des sanctions administratives pécuniaires à certaines entités en cas de non-conformité à certaines dispositions de la partie IV de la LLO. Dans un rapport publié en juin 2019, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes avait recommandé que le gouvernement fédéral étudie la possibilité de créer un tribunal administratif des langues officielles calqué sur les tribunaux des droits de la personne, qui aurait selon plusieurs témoignages d’experts, entre autres, facilité le processus de dépôt de preuve et favorisé et accéléré l’accès à la justice, toutefois, la création d’un tel tribunal n’est pas envisagée dans le projet de loi C-13.
L’importance de l’éducation dans la langue de la minorité est réaffirmée
Le projet de loi C-13 propose plusieurs modifications à la LLO pour encadrer le rôle du fédéral en matière d’appui à l’enseignement dans la langue de la minorité. Ces changements avaient été revendiqués par plusieurs organismes comme étant essentiels pour assurer l’égalité réelle.
Dans la version proposée, le gouvernement fédéral s’engage à renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité dans leur propre langue, et ce, de la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires. Comme mentionné ci-haut, selon le projet de loi C-13, les institutions fédérales doivent prendre des mesures positives pour mettre en œuvre l’engagement concernant les apprentissages dans la langue de la minorité.
De plus, le projet de loi C-13 propose que le gouvernement fédéral s’engage à contribuer périodiquement à l’estimation du nombre d’enfants dont les parents ont, en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la « Charte »), le droit de les faire instruire dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province ou d’un territoire, y compris le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique.
Ces modifications proposées sont cruciales compte tenu du statut constitutionnel de l’éducation en vertu de l’article 23 de la Charte et des enjeux que pose l’éducation à long terme. Les modifications proposées réaffirment cette garantie constitutionnelle et feront sans doute l’objet de plusieurs débats ardents auprès des tribunaux judiciaires.
À PROPOS DES AUTEURS
Jean-Michel Richardson est un avocat recherchiste chez Emond Harnden s.r.l. à Ottawa et membre du Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario.
Kenza Salah est une sociétaire en propriété intellectuelle chez Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. à Ottawa et Présidente du Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario.
À PROPOS DU COMITÉ DES LANGUES OFFICIELLES
Créé dans les années 1980, le Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario (ABO) a pour mandat de : (i) promouvoir l’accès à la justice en français au sein du système judiciaire et de la communauté juridique de l’Ontario en offrant des programmes de sensibilisation, de développement professionnel et autres initiatives; (ii) contribuer à l’avancement des droits linguistiques des francophones en Ontario; (iii) informer le Conseil de l’ABO en ce qui a trait à la collaboration avec les organismes qui militent pour l’accès égal à la justice en français et les droits linguistiques et diriger ces efforts de collaboration; (iv) informer le public de leurs droits linguistiques selon le régime législatif applicable; (v) représenter les intérêts des juristes d’expression française au sein de l’ABO; et (vi) appuyer le Conseil de l’ABO dans des dossiers d’envergure concernant les droits linguistiques. Pour plus de renseignements, veuillez visiter notre site Web.