Un rêve important de longue date
En 1970, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (la « Commission Laurendeau-Dunton ») a publié le cinquième volume de son rapport final portant sur la capitale fédérale, dans lequel elle rêvait d’une capitale nationale bilingue. La première recommandation de la Commission Laurendeau-Dunton était que l’anglais et le français aient un « statut d’égalité totale » dans la capitale nationale, y compris que les services dispensés au public dans la capitale fédérale soient accessibles « partout » dans les deux langues (auprès des entreprises privées aussi). La Commission Laurendeau-Dunton recommandait aussi que le gouvernement fédéral assume un « rôle direct et positif » dans la capitale nationale afin de promouvoir un régime d’égalité entre les deux langues.
Aujourd’hui, ce rêve n’a toujours pas été réalisé et la lutte continue malgré les protections constitutionnelles et législatives qui ont été adoptées à travers les années.
En février 2021, la ministre du Développement économique et des Langues officielles a dévoilé un livre blanc sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles (la « LLO »), comprenant ce qui suit :
Puisqu’un pays bilingue doit avoir une capitale bilingue, le gouvernement souhaite poursuivre sa collaboration avec la Ville d’Ottawa et la communauté francophone pour reconnaître le fait français et renforcer la présence des deux langues officielles au sein de la capitale nationale du Canada.
Les intentions de la ministre par rapport à la question d’une « capitale bilingue » ne sont pas claires à ce stade. Cependant, il est indubitable que le contexte actuel est l’occasion idéale pour le gouvernement fédéral de légiférer sur le sujet pour assurer et promouvoir l’égalité réelle des langues officielles au sein de la capitale nationale.
Où en sommes-nous?
En 2017, en vue des célébrations du 150e anniversaire du Canada, la législature de l’Ontario a modifié la Loi de 1999 sur la ville d’Ottawa pour reconnaître le « caractère bilingue » de la capitale nationale et donner force de loi au Règlement no 2001-170 (Bilinguisme) adopté en 2001 (qui incorpore par renvoi la politique de bilinguisme de la Ville d’Ottawa). Cette reconnaissance par la province du caractère bilingue de la ville d’Ottawa a été le fruit de la ténacité et mobilisation des francophones et francophiles durant les deux dernières décennies.
Au niveau fédéral, la délimitation de la région de la capitale nationale est définie dans la Loi sur la capitale nationale. Bien que l’administration des municipalités situées dans la région de la capitale nationale, comme la Ville d’Ottawa, soit de compétence provinciale selon la Loi constitutionnelle de 1867 (la « LC de 1867 »), le gouvernement fédéral joue néanmoins un rôle important sur le plan constitutionnel. Notamment, la LC de 1867 prévoit qu’Ottawa est le siège du gouvernement fédéral et la Cour suprême du Canada a statué en 1966 dans l’arrêt Munro c. la Commission de la capitale nationale que selon le paragraphe introductif de l’article 91 de la LC de 1867 concernant les « lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada », le Parlement du Canada a le pouvoir d’aménager, de conserver et d’embellir la région de la capitale nationale afin de doter le siège du gouvernement fédéral d’un cachet et d’un caractère dignes de son importance nationale.
Pour l’instant, le préambule de la LLO prévoit que le gouvernement fédéral s’engage à promouvoir le caractère bilingue de la région de la capitale nationale. Cependant, la LLO ne prévoit aucun mécanisme pour mettre en œuvre cet engagement.
Une occasion pour le gouvernement fédéral d’agir
L’intervention fédérale est tout à fait légitime – le statut bilingue du pays le justifie. D’ailleurs, plusieurs experts sont d’accord là-dessus. En juillet 2018, l’ACFO et deux Chaires de recherche se spécialisant en enjeux linguistiques ont déposé un mémoire conjoint (disponible ici) auprès du Comité sénatorial permanent des langues officielles au sujet de la modernisation de la LLO. Dans leur mémoire conjoint, les experts recommandaient l’ajout d’une nouvelle partie dans la LLO portant sur l’égalité des langues officielles au sein de la région de la capitale nationale. Une intervention efficace du fédéral peut se manifester de plusieurs façons et il s’agit d’une occasion idéale pour le gouvernement fédéral de mettre en œuvre son engagement et assumer son rôle direct et positif pour assurer et promouvoir l’égalité réelle des langues officielles au sein de la capitale nationale, et ce, en collaboration avec la province de l’Ontario, la Ville d’Ottawa et la communauté francophone.
Il importe de souligner que l’adoption de la première LLO par suite des recommandations de la Commission Laurendeau-Dunton en 1969 a eu un effet révolutionnaire sur les conditions sociales et économiques des francophones au pays. Cependant, l’engagement du gouvernement fédéral continue d’être nécessaire pour établir une symétrie complète et garantir la pérennité du bilinguisme, particulièrement au sein de la capitale nationale.
À propos des auteurs
Jean-Michel Richardson : Jean-Michel est un avocat recherchiste chez Emond Harnden s.r.l. et membre du Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario.
Kenza Salah: Kenza est sociétaire en propriété intellectuelle chez Osler, Hoskin & Harcourt S.EN.C.R.L./s.r.l. à Ottawa et Vice-Présidente du Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario.
À propos de CLO
Le Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario a été créé dans les années 1980 pour promouvoir un accès égal à la justice en français au sein du système judiciaire et de la communauté juridique de l’Ontario. Pour plus d’informations, veuillez visiter notre site web.