Qu’est-ce qui inquiète les avocats au cœur d’une pandémie mondiale ?
Les problèmes sont variés, de l’équilibre entre les soins à donner aux enfants et le travail à s’occuper de parents âgés et vulnérables, en passant par les soucis financiers. Pourtant, on décèle un fil conducteur : les pressions actuelles sont ressenties par tous, et nous avons besoin d’un moyen d’y faire face. Les réseaux sociaux peuvent nous faire croire qu’il est nécessaire d’être ultra efficace dans toutes les facettes de nos vies, mais cette pression est épuisante. Renforcer notre résilience peut nous aider à reconnaître et à accepter la détresse émotionnelle que nous pouvons ressentir.
Richa Sandill s’inquiète pour le bien-être de ses clients à faible revenu chez Scarborough Legal Services, où elle est avocate auprès de travailleurs vulnérables : « J’ai peur que, ces temps-ci, beaucoup de gens n’aient pas le choix d’accepter des changements importants à leurs conditions de travail, sans réaliser les conséquences à long terme que cela peut entraîner. »
Tanya Pagliaroli, avocate fondatrice de TAP Law, était au beau milieu d’un procès de quatre semaines lorsque les tribunaux ont été fermés. L’affaire a été ajournée indéfiniment. « Si et quand le procès reprend, dit-elle, il y aura des coûts importants associés à se remettre dans l’action pour la suite des procédures. »
D’autres ressentent de la vulnérabilité en ce qui concerne leur efficacité au travail. « Je peux accepter que l’environnement professionnel qui m’a préalablement aidée à avoir du succès et à définir ce succès n’existe plus », dit Brieanne Brannagan, associée chez Gowlings WLG. Toutefois, ajoute-t-elle, « Je trouve difficile de mettre cette compréhension en pratique pour redéfinir ma propre réussite au quotidien » en pleine pandémie de COVID-19.
« Dans la profession juridique, un point de vue dominant veut que la résilience soit la responsabilité de l’individu, selon Ellen Schlesinger, psychothérapeute, et cela est corrélé à la capacité de souffrir ou de passer à travers, souvent en silence. » En face d’un présent incertain et sans précédent, c’est maintenant le bon moment (si ça ne l’était pas encore) d’essayer de renforcer la résilience en admettant l’incertitude plutôt qu’en l’endurant simplement jusqu’à ce qu’elle se dissipe.
Ellen Schlesinger encourage les avocats à « d’abord reconnaître la souffrance ; deuxièmement, ne pas la minimiser ni la rabaisser ; troisièmement, se tourner vers l’expérience inconfortable pour détecter quels besoins sont non comblés ou bafoués et, quatrièmement, passer à la résolution de problème. » La résolution de problème aura autant d’aspects qu’il y a d’individus. Pour une personne, il peut s’agir de communiquer avec un confident, qu’il s’agisse d’un ami ou d’un thérapeute. Pour une autre, ce peut être de s’éloigner de ses tracas pour se concentrer sur la tâche à accomplir.
Les stratégies que propose Mme Schlesinger peuvent mener les avocats à remarquer des zones de malaise : « Même après quelques mois, mes attentes envers moi-même restent prises dans le passé », dit Brieanne Brannagan.
Pourtant, les avocats peuvent aussi remarquer que des aspects de leur pratique n’ont pas été négativement affectés par la pandémie. Richa Sandill a été impressionnée par la capacité du système judiciaire à s’adapter rapidement à la situation, une habileté qui fait souvent défaut dans la profession. « Nous avons soudainement dû moderniser… je crois que nous mettons en place des pratiques qui nous permettront une bien plus grande efficacité et offriront, je l’espère, un meilleur rapport qualité-prix aux clients. »
Tanya Pagliaroli a aussi été témoin de réussites : « Mon cabinet a toujours eu comme politique une grande flexibilité en matière de travail à domicile. La pandémie a démontré que mon bureau peut être aussi productif de la maison que du bureau, autant qu’un modèle hybride. » Il n’y a pas que le travail pour Me Pagliaroli : « J’ai fait l’effort de commander tous les livres que je voulais lire dans la dernière année et j’ai commencé à lire pour des périodes prolongées, en soirée et les week-ends, quand je ne travaille pas. »
Voir le bon côté ne diminue en rien les expériences terribles et les inquiétudes bien réelles que doivent gérer les avocats et leurs clients. La résilience d’une collectivité entière, selon Ellen Schlesinger, augmente lorsque les gens ont le droit de voir le bon comme le mauvais et d’accepter toutes ces expériences comme étant valides.
Elle conseille aux avocats de se traiter les uns les autres avec bienveillance. « Il s’agit de s’informer du bien-être les uns des autres, de prendre part à un environnement de travail équitable, de ne tolérer aucun harcèlement racial ou sexuel, de diminuer le stigmate associé à la santé mentale et d’encourager les gens à aller chercher l’aide requise. Avec ces composantes de la résilience, nous apprenons à nous faire confiance, nous apprenons que quand (et non si) nous faisons face à un défi, nous pouvons passer à travers. »
Pour de nombreux avocats, le temps est venu de reconcevoir la réussite et de passer outre à l’idée qu’ils doivent lutter malgré la douleur. Lorsque les gens sont bienveillants envers eux-mêmes et envers les autres, il est plus probable qu’ils trouveront les réserves requises pour traverser les périodes de détresse émotionnelle sans s’épuiser. « Il est essentiel de trouver une manière de m’offrir cette gentillesse, dit Me Brannagan. Avec de la patience, de la curiosité et une bonne dose d’acceptation, je peux voir que vivre dans le moment présent a ses avantages. »
Ellen Schlesinger a récemment été conférencière dans le cadre de la série « Mindful Lawyer » de l’ABO. Avec sa collègue Melanie Banka Goela, elle offre présentement un accès gratuit à son cours « From Anxiety to Ease » qui aide les juristes professionnels à gérer l’anxiété. On peut les joindre à l’adresse info@fromanxietytoease.com.
À propos de l’auteure
Rachel Migicovsky est avocate adjointe chez Miller Thomson et membre de l’exécutif de la section des litiges civils de l’ABO.