Peu après avoir immigré au Canada en provenance de la Corée du Sud alors qu’elle était adolescente, Jennifer Roggemann a eu un contact avec notre système de justice qui lui a ouvert les yeux sur la différence qu’une personne avec son bagage, sa détermination scolaire et son désir d’aider pouvait faire dans la vie d’autres nouveaux arrivants.
« Un membre de la famille a eu des problèmes juridiques, dit-elle. Il ne s’agissait que d’un malentendu culturel, mais il a fallu aller en cour. » Le malentendu culturel s’est alors poursuivi. « Mon père baissait la tête, honteux d’être obligé d’être là, et le juge lui a dit de ne pas dormir dans sa salle d’audience. » Cela a mené à de plus amples remontrances de leur propre avocat, qui a expliqué avec colère qu’il fallait mettre le juge de leur côté. « Je me souviens, dit Me Roggemann, que je me suis dit : si un jour je maîtrise l’anglais, et si un jour je deviens avocate, ce genre de chose ne se reproduira plus. »
Plus de 25 ans plus tard, à la tête de Roggemann Immigration Law, un petit cabinet réputé de Waterloo, Me Roggemann n’a pas seulement aidé d’innombrables personnes à devenir canadiennes grâce à ses aptitudes juridiques. Par son engagement bénévole, elle a aidé ces personnes à appartenir à une collectivité.
Cette année, qui marque une transition après près de dix ans de service à l’Immigration Partnership’s Leadership Council de la région de Waterloo, Me Roggemann a l’occasion de réfléchir aux initiatives communautaires de l’organisme, à la manière dont leur nature collaborative, constructive et empreinte de compassion a fait de Waterloo un foyer pour des immigrants et des réfugiés provenant des quatre coins du monde.
« Les agences gouvernementales, les organisations de santé, les universités, les agences d’aide à l’établissement, les écoles de langues, les immigrants, la police : réunis, nous avons tous notre mot à dire, dit Me Roggemann. Dans un format unifié, nous décidons sur quoi nous devons nous concentrer pour faire avancer les choses. »
Parmi les réussites importantes du groupe, elle cite la traduction — s’assurer que les services et les ressources sont offerts dans plusieurs langues — et les efforts locaux pour l’arrivée sans précédent de réfugiés syriens au Canada. Que ce soit en développant de nouvelles politiques et procédures ou en s’assurant que les besoins immédiats des nouveaux arrivants sont comblés (savoir où acheter des aliments, apprendre la langue ou envoyer leurs enfants à l’école), le Conseil se dévoue pour utiliser l’énergie et l’expérience de ses membres afin de faciliter la transition de personnes qui gèrent déjà des circonstances très stressantes.
Le dialogue entrepris par les membres du Conseil pour sensibiliser les gens quant à ce que vivent les nouveaux Canadiens est tout aussi important. Me Roggemann a ajouté une perspective juridique et, comme membre active prenant régulièrement part aux programmes de l’ABO et de l’ABC, elle a aussi soulevé des questions de politiques. La sagesse et la compréhension partagées au sein du Conseil sont ensuite disséminées dans la collectivité par les organisations auxquelles les membres du Conseil appartiennent. « C’est une cascade extraordinaire », dit Me Roggemann, qui crée une différence énorme. « Appartenir à une collectivité est un enjeu psychologique, dit-elle. On peut choisir le Canada, mais sentir qu’on en fait partie dépend des réactions des autres. »
Parmi les faits saillants de son travail bénévole, elle mentionne avoir offert des félicitations lors des cérémonies de citoyenneté, lors desquelles on peut voir la joie et l’excitation que les nouveaux Canadiens ressentent. « En 1993, quand je suis devenue citoyenne canadienne, le présentateur a demandé qui était un meilleur Canadien : celui qui choisit ce pays, ou celui qui y était en premier en y étant accidentellement né ? Il y a là un grand sentiment d’acceptation : “nous vous acceptons.ˮ ».
Comme avocate, Me Roggemann doit inspirer confiance en un système d’immigration dans lequel il est difficile de naviguer et qui cherche à instituer, à l’échelle nationale, des réglementations uniformes au sein de collectivités très diverses. « Certains immigrants sont issus de pays où il n’y a pas de règle de droit, pas de fondement de confiance, où le gouvernement n’a pas le rôle d’un protecteur. Je dois les amener à comprendre que notre gouvernement ne crée pas de politiques pour punir les gens. » Elle croit, comme l’ancienne juge en chef de la Cour suprême du Canada, Beverley McLachlin, que « la justice et la règle de droit représentent tout simplement notre meilleur espoir pour l’avenir. »
« Le droit fait partie de la collectivité, affirme Me Roggemann. Comme collectivité, nous ne pouvons pas fonctionner sans lui. »
Cette croyance, sa foi chrétienne, les balises saines qu’elle a établies et la pleine conscience la soutiennent lorsqu’elle aide des clients aux prises avec des événements tumultueux. Son travail bénévole l’aide aussi. « On peut être blasé, on peut avoir de la difficulté ; il y a tant de facteurs hors de notre contrôle. On peut être déçu par l’espèce humaine : les gens font des choses désespérées dans des situations désespérées, dit-elle. Par le travail bénévole, on en vient à avoir une grande compassion pour les clients. Pas seulement de la compassion, mais de la gratitude : je suis reconnaissante d’avoir ma collectivité, mes employés, mes amis et ma famille ; je suis reconnaissante pour là où j’en suis dans ma vie. »
L’empathie est plus essentielle à l’exercice du droit que la plupart des nouveaux avocats le réalisent. Me Roggemann se souvient d’une expérience dans une soupe populaire, un endroit qui la mettait mal à l’aise, car elle admet ne pas être bonne cuisinière. Dans ce moment de malaise, elle a pensé à la vulnérabilité de ses clients quand ils arrivent à son bureau en se sentant dépassés et confus.
« Au travail, on s’y connaît, on apprend. Avec le bénévolat, on devient plus humble. Les clients ne veulent pas connaître les articles de la Loi sur l’immigration. Ils veulent connaître l’impact que ces articles auront sur leur vie. »