La capacité juridique peut être remise en question pour un grand nombre de raisons. Cependant, alors que le Canada, comme le reste du monde, fait face au plus grand changement démographique de l’histoire humaine et qu’il y a plus de personnes âgées que jamais, les questions touchant la capacité juridique liée à l’âge se posent plus souvent.
En 2017, on estimait à 962 millions le nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus sur la planète, soit plus du double qu’en 1980. Et on s’attend à ce que ce nombre double encore d’ici 2050, selon les prévisions des Nations Unies. Au Canada, on prédit que le nombre de personnes de 65 ans ou plus s’élèvera à environ 12 millions d’ici 2050, selon Statistique Canada. Et tandis que l’espérance de vie de ces personnes continue de croître, la probabilité qu’elles connaissent des troubles cognitifs s’intensifie.
Du droit familial et des droits civils au droit commercial, en passant par les droits réels et le droit criminel, tous les domaines juridiques sont concernés. En droit familial, par exemple, la capacité peut être remise en question en ce qui concerne le mariage, le divorce, les dons, les soins personnels et les questions relatives à la garde. En droit des sûretés, les droits de propriété des adultes âgés doivent être protégés, et la capacité de transférer et de gérer des biens, ainsi que de donner des procurations relatives à ces biens, doit être évaluée. En droit commercial, la capacité d’un client de prendre des décisions, de donner des instructions, de déléguer et d’agir comme membre d’un conseil d’administration entre en jeu.
Les avocats ont besoin d’en savoir plus au sujet de la capacité juridique
C’est à cause de cette « tempête parfaite » d’une démographie formée de personnes âgées que trois praticiens experts du droit des aînés en Ontario expriment leur inquiétude et pressent leurs collègues juristes à en apprendre davantage au sujet d’une des questions fondamentales qui se posent dans le cadre de la pratique d’un avocat : la signification et l’application de la capacité juridique d’un client de tout décider au sujet de sa propre vie, y compris en ce qui concerne les soins futurs, l’état matrimonial et les détails du testament.
« La capacité est une question très complexe qui affecte tout le monde, dit Kimberly Whaley, associée fondatrice de Whaley Estate Litigation Partners à Toronto. Elle a un impact sur les hôpitaux, sur les professionnels de la santé, sur l’industrie de l’assurance, sur les conseillers en investissement, sur les banquiers ainsi que sur le grand public. C’est un dénominateur commun dans tous les domaines. »
Et pourtant, a-t-elle fait remarquer avec une certaine exaspération lors d’un entretien dans le cadre d’un récent colloque sur le droit des aînés à Vancouver, aucune faculté de droit en Ontario n’offre le moindre cours sur le concept juridique de la capacité, alors même que le raz de marée du vieillissement déferle à travers la société canadienne.
Natalia Angelini, du bureau d’avocats torontois Hull & Hull LLP, est également présidente de la Section du droit des aînés de l’ABO. « Nous tentons de mettre en œuvre des programmes opportuns et pertinents afin d’éduquer plus d’avocats sur ces questions », dit-elle.
De plus en plus de litiges concernent des personnes âgées et des demandes de tutelle ou des différends ayant trait à des procurations, ajoute-t-elle. Cela s’accompagne d’un recours accru à la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui et à son article 3, qui permet aux tribunaux de nommer un avocat qui agira au nom du client et dans son intérêt.
« C’est un rôle important, que les avocats ne comprennent pas toujours bien, même lorsqu’ils exercent dans ce domaine », dit Me Angelini.
Reconnaître l’incapacité n’est pas toujours facile
Me Whaley précise qu’il ne s’agit pas toujours de la maladie d’Alzheimer et de démence. L’alcoolisme, l’abus de drogues et même une infection urinaire peuvent affecter la capacité d’une personne à prendre des décisions.
« Même si un praticien s’occupe des affaires de ses clients âgés depuis plusieurs années, il ne sait pas ce qui se passe, bien souvent, avant que les clients viennent le voir. Déterminer ce qui se passe peut être difficile. Personne ne vient vous voir pour dire “j’ai un peu de difficulté à gérer mes finances, ces derniers temps”. Personne ne veut l’admettre, car les clients ont peur. Ils craignent de laisser savoir qu’ils sont vulnérables. C’est une situation délicate pour tout le monde. »
Kristine Anderson, associée chez Bales Beall LLP à Toronto, pratique le droit de la famille en Ontario depuis une vingtaine d’années. Elle met en garde les avocats d’être particulièrement vigilants ces temps-ci en ce qui a trait aux questions de capacité. Ils doivent, selon elle, trouver leurs propres méthodes pour évaluer la capacité de leurs clients à prendre des décisions qui les concernent. Un avocat généraliste peut croire qu’il connaît bien ses clients après des années à gérer les cessions de biens, les acquisitions et d’autres questions juridiques, mais la capacité amène un tout nouveau lot de problèmes.
Me Anderson dit qu’au fil des ans, elle a développé ses propres moyens d’évaluer la capacité d’un client.
« Parfois, je demande au client de venir me rencontrer séparément [de son conjoint ou de ses enfants adultes]. Ensuite j’attends un jour ou deux et je l’appelle pour voir si j’obtiendrai les mêmes instructions du client par téléphone. Il m’arrive même de fournir au client des renseignements erronés. Je lui dis “vous avez deux enfants” alors que je sais qu’il en a trois, pour voir s’il me corrigera. C’est une technique toute simple pour évaluer la capacité », dit Me Anderson.
Les avocats doivent se protéger eux aussi, et non seulement protéger leur client
Certains avocats peuvent être mal à l’aise de jouer ce rôle, admet-elle.
« On peut se sentir comme si on est trop intrusif, ou sentir qu’on ne devrait pas remettre en question la capacité de la personne, qu’on la connaît, puisqu’il s’agit d’un client. Mais il faut se souvenir que comme avocat, on protège aussi le dossier, et on doit aussi se protéger. »
Me Anderson, à qui on fait souvent appel pour des différends dans lesquels des avocats sont poursuivis pour leurs faux pas en matière de capacité, dit qu’il est crucial que les avocats prennent des notes sur leurs observations au sujet de la capacité d’un client.
« Vous protégez aussi cette personne, pour garantir que ce sont ses souhaits. Si cette personne décède, et que tout cela est débattu a posteriori, vos notes et dossiers seront incroyablement importants pour protéger son intention. »
L’incapacité : à quoi porter attention
Ce qui suit est une version condensée et modifiée des signaux d’alerte pour l’incapacité qui ont été développés et publiés sur le site Web de Whaley Estate Litigation Partners. La version complète de cette liste et d’autres pour des questions comme la capacité de se marier, de vendre des biens et de fournir des instructions à un avocat sont aussi disponibles sur le site Web du cabinet.
- Symptômes cognitifs, émotionnels ou comportementaux comme la perte de mémoire, les problèmes de communication, le manque de souplesse mentale, les problèmes de calcul ou la désorientation en matière de temps, de personnes ou de lieux
- Hésitation ou confusion
- Problèmes de mémoire à court terme : répéter fréquemment les questions, oublier ce qui a été dit plus tôt dans la conversation, être incapable de se rappeler les événements des derniers jours
- Problèmes de communication : difficulté à trouver des mots, langage vague, difficulté à se concentrer sur un sujet ou schèmes de pensées désorganisés
- Problèmes de compréhension : difficulté à répéter des concepts simples et à comprendre les questions répétées
- Problèmes de calcul ou de gestion financière, comme la difficulté à payer les factures
- Détresse émotionnelle importante : dépression, anxiété, pleurs faciles ou détresse, frénésie et excitation, ou émotions qui ne correspondent pas aux sujets discutés
- Baisse des capacités intellectuelles
- Incapacité à nommer aisément les biens ou les membres de la famille
- Expérience récente de conflits familiaux
- Expérience récente de deuils familiaux
- Absence de conscience des risques encourus par soi ou autrui