Les avocats canadiens savent que les événements et les changements sociaux se produisent si vite que le législateur et les décideurs ne peuvent suivre leur rythme. Des situations autrefois inimaginables se produisent et exigent une opinion juridique quelconque, ce qui crée un terreau fertile pour de nouveaux créneaux ou champs de spécialisation.
Les grands bureaux qui se spécialisent en droit commercial, familial, criminel et immobilier occuperont toujours la majeure partie de ce que nous pouvons appeler l’économie ou l’écosystème juridique, mais un certain pourcentage de nouveaux avocats graviteront vers des questions de justice sociale, comme la protection de l’environnement, la prévention de la fraude, l’utilisation de drogues illicites et la liberté d’expression. Ces domaines sont en émergence et attirent de jeunes juristes par la nature contemporaine du travail requis. Ce sont des questions actuelles, ardues, qui doivent être traitées avec une nouvelle optique. L’ABO a réalisé un sondage auprès de ses membres dans une variété de domaines d’exercice afin de cerner certaines des spécialités qui devraient attirer l’attention et l’intérêt des jeunes esprits juridiques.
L’environnement émergent des sociétés B Corp aura besoin de conseillers
Bien des sociétés des domaines de l’énergie, de l’extraction de ressources, de la finance et même de la haute technologie ont souffert de la perception du public selon laquelle leur seule raison d’être consiste à stimuler la valeur actionnariale et la rentabilité des bénéfices nets. Une étude de la Banque de développement du Canada a démontré que 97 % des Canadiens font un effort pour acheter local, que 60 % se considèrent comme étant des « consommateurs éthiques » et que 33 % prennent le temps d’effectuer de la recherche sur les pratiques commerciales des entreprises.
Si les multinationales se satisfont de créer des services de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) pour apaiser à la fois les actionnaires et le public, l’étalon d’or de la gouvernance éthique s’incarne dans la structure « B Corp ». La Déclaration d’indépendance des sociétés B Corp « envisage une économie mondiale se servant des affaires comme d’une force pour le bien commun. » Ces entreprises à but lucratif dynamiques créent des avantages pour tous les intervenants, et non seulement pour leurs actionnaires. Ces intervenants peuvent comprendre tout le monde, des employés aux entrepreneurs, en passant par les collectivités et même les pays dans lesquels ces sociétés font affaire.
Dennis Tobin, de Blaney McMurtry LLP, se spécialise dans l’aide aux entreprises qui souhaitent intégrer le langage B Corp dans leurs documents constitutifs. « Ce domaine du droit exige un travail commercial pur et dur, pourtant il n’est pas bien compris. Les sociétés B Corp sont créées à cause de la vision de leurs fondateurs et propriétaires, et non selon les recommandations d’un avocat. Mon conseil aux jeunes avocats en droit commercial est de s’assurer d’avoir quelques spécialités qui sont reliées les unes aux autres. Ne vous attendez pas à beaucoup de travail, mais il y a beaucoup de sociétés intéressantes qui veulent des conseils à ce sujet », a-t-il dit.
« Un certain nombre de jeunes avocats et d’étudiants m’en ont touché un mot, et je prévois que l’ABO et l’ABC formeront un jour des comités consacrés aux sociétés B Corp. Les entreprises B Corp, comme toutes les autres, cherchent des investissements ; il y a donc des occasions reliées au financement. Ces entreprises ont aussi souvent des programmes RSE et des contrats et politiques de travail uniques, qui nécessitent des avis juridiques. »
« Les sociétés auront besoin de conseillers qui comprennent le besoin de rester axé sur les principes qui soutiendront l’entreprise et ses profits. Les conseillers devront être en mesure de fournir aux cadres et aux fondateurs la confiance requise pour garder le cap sur leur vision et résister à la tentation de se concentrer sur des résultats à court terme. Les avocats qui connaissent bien le droit commercial et comprennent les principes du mouvement B Corp attireront dans leur clientèle les meilleures sociétés. »
La légalisation du cannabis change le panorama juridique
Avec la légalisation pancanadienne du cannabis, les avocats ont dû changer l’accent mis sur le droit criminel pour l’axer vers le droit commercial et même le droit immobilier.
« Le conseil que nous donnions à nos clients avant la date de la légalisation du cannabis était d’établir des règles concernant l’usage du cannabis immédiatement, pour éviter d’avoir à exclure les utilisateurs de cannabis existants. Certains de nos clients ont suivi ce conseil, et d’autres non, parce que l’usage du cannabis récréatif forme un tout nouveau domaine juridique au Canada, avec peu ou pas de jurisprudence », a déclaré Cindy Yi de Loopstra Nixon LLP.
Comme Me Yi, avocate spécialisée en droit immobilier commercial, l’a fait remarquer, chaque immeuble d’habitation est différent, et comporte son propre ensemble de règles, souvent tout en nuances, et des questions comme la fumée secondaire, par exemple, peuvent varier grandement au sein d’une ville comme Toronto.
« L’avenir de la légalisation du cannabis est encore très incertain, mais ce qui est clair, c’est que nous allons voir beaucoup de nouvelles données scientifiques, de recherche et de développement, une nouvelle jurisprudence qui émergera des litiges inévitables, et, nous pouvons l’espérer, une certaine fluidité à mesure que le Canada se positionnera parmi les autres nations qui ont légalisé le cannabis récréatif », a ajouté Me Yi.
Une chose est certaine, les avocats auront encore à calmer le jeu en matière de cannabis.
Un nouveau système de règlement des différends dans le domaine de la construction aura besoin d’aide spécialisée
Dans les villes ontariennes en croissance rapide, il n’est pas surprenant que des poursuites entre promoteurs, entrepreneurs, architectes et corps d’état du second œuvre se propagent à travers le marché de l’immobilier. Plus tard en 2019, un nouveau système de règlement des différends en temps réel mettra l’accent sur la simplification et la résolution des poursuites durant la phase de construction plutôt qu’à l’achèvement, comme c’est présentement le cas.
David Outerbridge, avocat chez Torys LLP dont l’exercice met l’accent sur le secteur de la construction, dit qu’il croit que ce changement profitera autant aux grands bureaux qu’aux petits. « Il s’agira d’un processus de résolution des conflits en temps réel, avec un volume relativement élevé et un rythme rapide. Les clients auront besoin d’aide spécialisée rapidement, à la dernière minute. Les petits cabinets ou les groupes au sein de plus grands cabinets qui peuvent fournir ce type de réponse rapide seront très recherchés. En fait, les parajuristes et les consultants aussi pourront tirer profit de ces changements. »
Le vieillissement de la population et les changements démographiques entraîneront un besoin pour des spécialistes du droit des aînés
Les systèmes de croyance et de valeurs des baby-boomers ont entraîné d’énormes changements sociaux dans le dernier demi-siècle, et maintenant qu’ils prennent leur retraite, de nouveaux défis surgiront. Le problème commence par la démographie, car présentement, la population d’aînés dépasse le nombre de nouvelles naissances.
« Nous n’avons pas planifié pour ces changements, et ils se produisent déjà », a dit Kimberly Whaley, avocate de Toronto qui se consacre à représenter les intérêts de la collectivité croissante des aînés en Ontario.
Les aînés canadiens vivent plus longtemps, et vivent un déclin cognitif et physique lié à l’âge qui, combiné à un manque de compétences sur Internet ou d’aptitudes technologiques, peut faire d’eux des victimes de nombreux types d’abus.
« La famille et la collectivité ne sont plus ce qu’elles étaient. Les individus travaillent au sein d’une collectivité internationale, et ne sont, souvent, même pas dans le même pays », a dit Me Whaley. « Le droit des aînés est pertinent partout au monde, et il comprend tout ce qui englobe le droit successoral et les fiducies, jusqu’au divorce et au droit familial, en passant par les procurations et la tutelle. Le travail à abattre est plus vaste que ce que nous serons en mesure de faire, comme pays et au sein des collectivités. Notre système de santé ne suffira pas à gérer ce qui nous attend. »
Un besoin criant existe pour des professionnels juridiques formés, a dit Me Whaley, mais en ajoutant que les avocats ne reçoivent aucune formation officielle sur les questions de la capacité et de la vulnérabilité, alors que les professionnels de la santé doivent sans cesse mettre à jour leurs connaissances pour rester au courant des meilleures pratiques.
Si la technologie a désintermédié de nombreux aspects de l’économie canadienne, il ne fait pas de doute que les changements sociaux mènent généralement à une augmentation des occasions d’emploi pour les membres de la profession juridique. Aux catégories déjà énumérées, nous pouvons ajouter l’intelligence artificielle, la confidentialité sur Internet, le droit environnemental et les lois sur le commerce et les tarifs douaniers comme domaines susceptibles d’attirer de jeunes esprits juridiques brillants dans les années à venir.