En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a publié son rapport final, lequel contenait un résumé de l’horrible historique des politiques canadiennes relatives aux Autochtones et concluait par 94 « appels à l’action » pour remédier à ses séquelles.
La profession juridique a l’obligation fondamentale de réagir à ces appels à l’action, car en tant que juristes, nous avons la responsabilité de faire respecter la règle de droit et de garantir que les lois protègent l’inclusion et la diversité.
Le Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada débute avec ce paragraphe :
Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique indienne du Canada étaient les suivants : éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada. L’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de cette politique, que l’on pourrait qualifier de « génocide culturel ». [C’est nous qui soulignons]
Lorsque le premier ministre John A. Macdonald a présenté la loi pour ces pensionnats, il a expliqué à la Chambre des communes que ceux-ci étaient nécessaires pour « sortir l’Indien de chaque enfant ». Il a également dit :
Lorsque l’école est sur la réserve, l’enfant vit avec ses parents, qui sont sauvages ; il est entouré de sauvages, et bien qu’il puisse apprendre à lire et à écrire, ses habitudes, son éducation domestique, et ses façons de penser, restent celles des sauvages. En un mot, c’est un sauvage capable de lire et d’écrire. […] soustraire autant que possible les enfants sauvages à l’influence de leurs parents. Or, le seul moyen d’y réussir serait de placer ces enfants dans des écoles industrielles centrales, où ils adopteraient les habitudes et les façons de penser des blancs. [C’est nous qui soulignons]
Plus de 150 000 enfants ont été séparés de force de leurs parents et de leurs familles. Ils ont été privés de tout ce qu’ils connaissaient de leur propre culture, de leur langue et de leurs traditions. Ils étaient sévèrement punis lorsqu’ils tentaient de s’en servir ou de les pratiquer. Ils ont même été privés de leurs propres noms.
Dans les pensionnats, les enfants ont souvent subi des sévices sérieux, qu’ils aient été physiques, sexuels, psychologiques ou spirituels. De nombreux enfants n’ont pas survécu à cette épreuve. Ceux qui ont survécu ont été traumatisés par les mauvais traitements reçus, ce qui a laissé un héritage de dysfonction qui a eu un impact sur leurs enfants et leurs petits-enfants.
Les derniers pensionnats exploités par le gouvernement fédéral sont demeurés ouverts jusqu’en 1996.
Pendant ce temps, la « rafle des années 1960 » a commencé. Il s’agissait d’une pratique gouvernementale de « rafler » les enfants autochtones de leurs familles sans avertissement ni consentement, pour les placer en famille d’accueil ou les offrir à l’adoption, principalement au sein de familles blanches de la classe moyenne. Plus de 20 000 enfants autochtones ont été pris de force à leurs familles avant que cette pratique ne soit interrompue à la fin des années 1980.
Le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation résume ainsi le traitement « légal » des Autochtones par le gouvernement :
[L]es lois et les principes de droit connexes du Canada ont favorisé une culture du secret et de l’occultation. Lorsque des enfants subissaient de mauvais traitements dans les pensionnats, les lois et les façons dont elles étaient appliquées (ou non) sont devenues un bouclier derrière lequel les gouvernements, les Églises et des individus pouvaient se cacher pour éviter les conséquences d’horribles vérités. Les décisions de ne pas porter d’accusations contre les agresseurs ont permis à des gens d’échapper aux conséquences néfastes de leurs gestes. De plus, le droit des communautés et des chefs autochtones de fonctionner en conformité avec leurs propres coutumes, traditions, lois et cultures a été infirmé par la loi. Ceux qui persistaient à fonctionner conformément à ces cultures s’exposaient à des poursuites. Les peuples autochtones en sont venus à considérer le droit comme un outil d’oppression du gouvernement. [C’est nous qui soulignons]
La conséquence de tout cela ? Les personnes autochtones ont souffert et continuent de souffrir à cause de ces politiques et lois indéfendables du gouvernement.
Je suis sto:lo du côté paternel. Ma famille autochtone élargie vient de la vallée du fleuve Fraser en Colombie-Britannique. Pendant des années, mon père a caché son héritage autochtone parce qu’il voyait et craignait les préjugés et la discrimination dont les « Indiens » faisaient l’objet. Des membres de ma famille sto:lo sont des survivants des pensionnats autochtones qui ont subi des sévices physiques, sexuels, psychologiques et spirituels dans le système des pensionnats.
De nombreuses personnes autochtones, y compris bon nombre de mes cousins sto:lo et leurs enfants, se démènent encore avec les impacts terribles de cette période sombre.
L’une des étudiantes de notre cabinet, qui est métisse, est la première de sa famille à atteindre l’université (sans parler de la faculté de droit). Ce n’est pas une situation rare parmi les étudiants autochtones de son âge. Ce n’est pas une situation rare parmi les membres de ma propre famille sto:lo.
C’est à cause de ces « vérités » que le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation en appelle à une véritable « réconciliation » avec les peuples autochtones du Canada, en ces termes :
Pour la Commission, la réconciliation consiste à établir et à maintenir une relation de respect réciproque entre les peuples autochtones et non autochtones dans ce pays. Pour y arriver, il faut prendre conscience du passé, reconnaître les torts qui ont été causés, expier les causes et agir pour changer les comportements. […]
Ensemble, nous devons apprendre comment mettre en pratique la réconciliation dans notre vie de tous les jours — avec nous-mêmes et nos familles, dans nos collectivités, nos administrations publiques, nos lieux de culte, nos écoles et nos lieux de travail. Pour agir d’une manière constructive, les Canadiens doivent maintenir leur engagement à poursuivre le processus visant à établir et entretenir des relations fondées sur le respect. [C’est nous qui soulignons]
Parmi les 94 appels à l’action pour remédier aux séquelles laissées par les pensionnats et faire avancer le processus de réconciliation, il en est un (le 27e) qui s’adresse à la collectivité juridique. Il nous appelle à :
veiller à ce que les avocats reçoivent une formation appropriée en matière de compétences culturelles, y compris en ce qui a trait à l’histoire et aux séquelles des pensionnats, à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, aux traités et aux droits des Autochtones, au droit autochtone de même qu’aux relations entre l’État et les Autochtones. À cet égard, il faudra, plus particulièrement, offrir une formation axée sur les compétences pour ce qui est de l’aptitude interculturelle, du règlement de différends, des droits de la personne et de la lutte contre le racisme.
Que devriez-vous faire pour répondre à cet appel ?
Vous devriez, au sein de votre cabinet, élaborer des initiatives autochtones qui correspondent véritablement à vos obligations envers les peuples autochtones. Vous pouvez le faire en suivant l’acronyme « CCRR » : la Conscientisation mène à la Compréhension, qui favorise le Respect et apporte la Reconnaissance.
La conscientisation se crée par la formation axée sur les compétences pédagogiques et culturelles offerte par des meneurs autochtones, des aînés, des détenteurs de savoirs, des survivants des pensionnats autochtones et par l’entremise de cérémonies purificatoires.
La compréhension s’atteint en s’assurant que la formation axée sur les compétences pédagogiques et culturelles met l’accent sur la production d’une compréhension approfondie de l’héritage des politiques autochtones du Canada, de l’impact intergénérationnel continu de ces politiques et du besoin constant pour une réconciliation authentique.
Vous devriez démontrer des signes tangibles et sincères de respect dans votre milieu de travail en adoptant, lorsque cela est approprié, la reconnaissance orale du territoire et les pratiques traditionnelles autochtones comme celle des cercles de la parole. Vous pouvez installer une reconnaissance de territoire permanente, comme une plaque.
Il devrait y avoir une reconnaissance continuelle des contributions incommensurables des peuples autochtones au Canada et au droit canadien. Par leurs expériences uniques, ces peuples apportent des perspectives et des idées inestimables sur les questions culturelles, juridiques et sociales qui ont une incidence sur nous tous.
La réconciliation, c’est votre responsabilité. Et vous avez la responsabilité de commencer dès maintenant.
À propos de l’auteur
John P. Brown est associé chez McCarthy Tétrault LLP et membre du Giiwedin Anang Council d’Aboriginal Legal Services à Toronto.