Nous autres avocats sommes des spécialistes de la résolution de problèmes. Nous nous consacrons de tout cœur à résoudre les problèmes de nos clients, peu importe leur complexité ou le stress qu’ils entraînent. Pourtant, en répondant aux exigences de notre profession, il peut être facile d’écarter nos propres problèmes. Cette tendance à mettre l’accent sur les besoins des autres, jumelée au désir de projeter une image de contrôle parfait, peut créer un environnement dans lequel le harcèlement et la discrimination ne sont pas signalés. Et cela ne fait qu’amplifier la question pernicieuse du harcèlement et de la discrimination dans la profession.
Il est donc crucial de s’assurer que les membres de la profession seront soutenus s’ils se retrouvent dans une situation de harcèlement ou de discrimination en milieu de travail. C’est là qu’entre en scène le Programme de conseil juridique en matière de discrimination et de harcèlement (CJDH). Le programme est un outil clé que tous les avocats devraient connaître pour enrayer la discrimination au travail. Avec ses trois avocates, le CJDH offre une ligne téléphonique confidentielle et des services de soutien pour les détenteurs de permis et les clients individuels qui ont une plainte à formuler en matière de discrimination et de harcèlement contre des membres de la profession. Même si le Barreau de l’Ontario finance le programme, le CJDH fonctionne de façon autonome. Tous les renseignements qui y sont reçus demeurent strictement confidentiels, peu importe qu’ils proviennent de la personne qui porte plainte, du répondant ou d’autres personnes cherchant de l’information sur le programme.
Afin de mieux comprendre le travail du CJDH, j’ai parlé directement avec Fay Faraday. Me Faraday est l’une des trois avocates du CJDH, et elle apporte au programme sa vaste expérience comme avocate en droits de la personne. Me Faraday dit que la discrimination et le harcèlement s’infiltrent dans « chaque sphère d’exercice imaginable : aucun domaine d’exercice juridique n’est immunisé, tout comme aucun secteur de la société n’est immunisé contre la discrimination. » Me Faraday ajoute que tous, des associés aux étudiants, en passant par les avocats adjoints et les clients, sont concernés. Beaucoup ont cependant peur de parler, à cause de l’important déséquilibre du pouvoir et d’une « culture de perfectionnisme » en droit qui fait que les gens doutent de leur propre réalité, qu’ils ont peur des représailles et n’ont que très peu de personnes-ressources à qui parler ouvertement de ce qu’ils vivent.
Il y a 20 ans cette année que le CJDH a été fondé. C’est là l’occasion pour nous de réfléchir sur le chemin qu’il nous reste à parcourir comme profession en ce qui concerne ces questions. Nous pouvons en apprendre beaucoup en regardant simplement l’information fournie au Barreau par le CJDH au cours des dernières années. Au départ, le CJDH a été créé pour répondre aux inquiétudes croissantes quant au harcèlement sexuel vécu par les femmes dans la profession. Aujourd’hui, si le harcèlement sexuel est encore, malheureusement, une préoccupation, la portée et la profondeur des questions que traite le CJDH ont évolué.
Cela se reflète dans les conclusions de 2017 du Groupe de travail sur les défis des titulaires de permis racialisés, ainsi que dans les renseignements publiés l’automne dernier par le Comité sur l’équité du Barreau de l’Ontario sur le fonctionnement du CJDH. Selon ce dernier rapport, la première moitié de 2018 a vu une augmentation de 50 % du nombre de nouvelles plaintes provenant de personnes, concernant la discrimination et le harcèlement dans la profession, y compris de titulaires et de membres de la profession. Pour les plaignants titulaires, la discrimination raciale et le harcèlement sexuel demeurent les enjeux les plus persistants. La majorité des titulaires ayant déposé une plainte étaient des femmes, dont un grand nombre se sont autorapportées comme étant racialisées.
Me Faraday confirme ce que dit le rapport. À son avis, si la discrimination fondée sur le sexe et le harcèlement sexuel représentent toujours une grande proportion des cas déposés au CJDH, les expériences intersectionnelles de discrimination et de harcèlement sont maintenant à l’avant-plan. Selon Me Faraday, la majorité des personnes qui portent plainte auprès du CJDH sont des membres de la profession ou des clients qui font face à des formes de discrimination croisée. Cela est apparemment d’autant plus vrai pour les plaignants qui s’identifient comme hommes. Ceux-ci, nous dit-on, font face presque exclusivement à des formes croisées de discrimination, y compris fondées sur la race, la religion, l’orientation sexuelle et le handicap. Me Faraday révèle, de plus, que le CJDH reçoit de plus en plus d’appels d’avocats, d’étudiants et de clients issus des Premières nations.
Le CJDH s’efforce d’offrir des options aux victimes de discrimination et de harcèlement. Une plainte déposée au CJDH n’entraîne pas de processus juridique officiel. Aucun témoin n’est signifié, et il n’y a ni requêtes à présenter ni délai à respecter. Le CJDH existe plutôt principalement pour soutenir ceux qui communiquent avec lui en discutant avec eux de leurs problèmes et en soulignant différentes voies possibles pour résoudre leurs différends. Les services du CJDH sont fournis gratuitement et en toute confidentialité à tous ses utilisateurs, et ceux-ci peuvent, s’ils le désirent, y accéder de façon anonyme.
« La première question que je pose, dit Me Faraday, est : quel serait le résultat idéal pour vous dans cette situation ? Chaque personne a une réponse différente. On ne peut pas leur offrir des réponses standard ; il faut leur fournir des options pour atteindre le résultat souhaité. » Dans certains cas, le résultat idéal pourrait être un règlement non officiel par l’entremise de la médiation offerte par le CJDH, ou des services de conciliation qu’il offre comme tierce partie neutre. Si les parties le souhaitent, ce processus volontaire axé sur la résolution de problèmes peut constituer un outil efficace pour les personnes concernées.
Me Faraday souligne une autre réalité sombre, mais importante, qui rappelle ce que j’avais écrit pour l’ABO en 2017 : le fait que la discrimination et le harcèlement envers les étudiants sont répandus. « Le CJDH reçoit de plus en plus de témoignages de stagiaires, particulièrement ceux qui ont fait leurs études en droit à l’étranger », selon Me Faraday. Les mauvais traitements sont souvent économiques ; certains étudiants ne se voient pas verser de salaire pendant de longues périodes, alors même qu’ils travaillent de très longues heures. Encore une fois, Me Faraday signale qu’une proportion importante de ces étudiants qui communiquent avec le CJDH au sujet d’une expérience abusive en milieu de travail sont racialisés.
En plus d’encourager les étudiants à contacter le CJDH s’ils se retrouvent dans un environnement de travail malsain, Me Faraday souhaite rappeler aux maîtres de stage leur engagement envers les étudiants et envers la profession dans son ensemble. « L’accès à un stagiaire n’est pas un droit, mais bien un privilège. Tout avocat agissant comme maître de stage s’est engagé à former l’étudiant qu’il embauche, et à lui fournir du mentorat et du développement de compétences. Ce n’est pas une occasion d’obtenir du travail à bas prix. [Traiter les stagiaires comme de la main-d’œuvre bon marché], c’est leur donner une introduction à la profession honteuse, et c’est abuser d’un privilège. »
La profession a grand besoin de démarches proactives pour combattre la discrimination et le harcèlement, et le CJDH est un organisme-ressource utile pour les organisations qui cherchent à tenir leurs membres informés des stratégies pour prévenir le harcèlement et la discrimination en milieu de travail.
Si les titulaires de permis ou les clients craignent de subir des conséquences s’ils communiquent avec le CJDH, Me Faraday tient à souligner que le processus est entièrement confidentiel et anonyme.
En effet, quiconque ressent de la solitude dans une telle situation doit savoir que la discrimination et le harcèlement ne sont jamais acceptables. Gérer ce genre de circonstances est, dans bien des cas, l’une des situations les plus difficiles auxquelles on peut devoir faire face. Il est cependant réconfortant de savoir qu’il existe plus de ressources et d’options qu’on peut d’abord le penser. Au-delà de cela, comme avocats, nous devons faire mieux pour créer un environnement de soutien pour les victimes du harcèlement et de la discrimination dans la collectivité juridique. Nous nous le devons, nous le devons à nos clients, et nous le devons à notre profession.
Pour en savoir plus sur le Programme de conseil juridique en matière de discrimination et de harcèlement ou pour prendre contact, visitez le www.dhcounsel.on.ca, envoyez un courriel à assistance@dhcounsel.on.ca ou composez, en toute confidentialité, le 1 877 790-2200. Pour lire les mises à jour du CJDH sur Twitter : @DH_Counsel.
À propos de l’auteure
Richa Sandill est avocate en droit du travail au sein des Scarborough Community Legal Services, ainsi que présidente du Forum des avocates de l’ABO et membre de son comité sur l’égalité.