Le marché juridique est en cours de transformation. Est-ce une rupture ou une évolution ? La réponse est peut-être sans importance : les bureaux doivent innover pour faire concurrence aux nouveaux modèles d’affaires émergents.
Les forces qui propulsent le changement
La technologie a été une force de rupture dans des industries aussi variées que le transport et la santé. Uber a redéfini le service de taxi, Netflix a pratiquement à lui seul éliminé la location vidéo1 et Airbnb offre une solution de rechange aux hôtels traditionnels. Le marché juridique sera-t-il le suivant ? Jusqu’à maintenant, il a résisté obstinément au changement. Cependant, selon l’avocate et entrepreneure Monica Zent, trois facteurs importants pourraient bientôt propulser des changements qui pourraient mener à un panorama juridique radicalement différent2.
- L’économie des petits boulots. La main-d’œuvre pigiste est à son plus haut depuis 40 ans. Avec la technologie qui permet aux avocats de travailler à distance et de façon autonome, de plus en plus d’entre eux se sentiront à même de se lancer en solo. Le bureau juridique virtuel deviendra une réalité.
- La main-d’œuvre des milléniaux. Les milléniaux ont des valeurs différentes de celles de leurs prédécesseurs, qui mettent l’accent sur la flexibilité du travail et l’équilibre travail/vie personnelle, y compris les horaires flexibles et le télétravail. Cette génération adoptera les technologies qui libèrent leur temps pour le passer en famille ou dans les loisirs.
- Des clients futés. Les clients s’attendent à plus de transparence et exigent une plus grande efficacité pour du travail administratif de routine. Si l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine peuvent rationaliser les tâches répétitives comme les recherches et le remplissage de formulaires, les clients vont s’attendre à ce que les avocats les adoptent.
La rupture c. l’évolution
À quels changements peut-on s’attendre dans le panorama juridique à cause de ces changements du marché ? Le marché juridique est-il au bord de la rupture ou y sommes-nous déjà ? Pour répondre à cette question, nous faisons appel à l’ultime source en matière de rupture, Clayton Christensen.
Le concept de la rupture de marché a d’abord été popularisé dans le livre phare de Christensen, « The Innovator’s Dilemma » (non traduit)3. Telle que décrite par Christensen, la rupture de marché se produit lorsqu’un nouveau fournisseur répond à la demande du marché d’une façon dont les fournisseurs en titre ne peuvent le faire, en offrant une valeur qui s’harmonise mieux aux désirs du marché.
Le nouveau fournisseur augmente progressivement ses parts de marché en commençant par les frontières de ce marché, dont les besoins sont les plus simples et la valeur plus faible, puis passe graduellement vers les segments à plus grande valeur, jusqu’à ce que les acteurs établis disparaissent et que le concurrent devienne le nouveau titulaire.
Les conditions pour la rupture du marché juridique existent présentement. Le côté demande est substantiel : plusieurs centaines de milliards de dollars sont dépensés pour des services juridiques chaque année. Du côté de l’offre, les titulaires s’accrochent à des modèles traditionnels, qui comprennent l’heure facturable, tandis que d’autres options émergent.
Les modèles de rupture émergents
Alors que sont ces modèles alternatifs émergents ? Jordan Furlong, dans « Why law firms should focus on adaptation, not disruption », décrit trois solutions de rechange aux services juridiques traditionnels4 :
- Les services juridiques offerts par les non-avocats. Il s’agit de services juridiques qui peuvent être fournis par l’entremise de la technologie. Ils comprennent la résolution de différends en ligne, l’investigation informatique, l’assemblage avancé d’un document, etc.
- Les modèles alternatifs de services juridiques. On peut répondre à une partie de la demande pour des services juridiques sans bureau juridique traditionnel. Les solutions de rechange comprennent les réseaux flexibles d’avocats, les services juridiques gérés et les services juridiques au sein de bureaux comptables, entre autres.
- Les options internes. Certains services juridiques en entreprise accroissent leurs capacités internes par de nouvelles embauches et des outils de productivité technologiques. Une variation du modèle de Christensen, cette solution propulse le changement du côté de la demande.
Jusqu’à présent, ces modèles alternatifs n’ont conquis qu’une petite partie du marché juridique. Alors qu’ils grugent les marges, Christensen dirait que nous voyons les premiers signes d’un marché qui vivra une rupture.
Innover pour s’adapter
Dans de nombreuses industries, les organisations qui sentent qu’une rupture est imminente l’éviteront en créant eux-mêmes une rupture. Cela veut dire innover à l’interne, un défi pour la plupart des bureaux puisque ces initiatives exigent un état d’esprit entrepreneurial qui semble souvent bien étranger pour l’avocat moyen. De plus, les bureaux doivent avancer prudemment pour s’assurer de soutenir l’innovation sans menacer le modèle d’affaires actuel.
Malgré ces obstacles, certains bureaux ont eu du succès avec des incubateurs internes qui réunissent des avocats du bureau avec des entrepreneurs et des technologistes de l’extérieur5.Ces collaborations aident à transférer la pensée entrepreneuriale vers les avocats, afin qu’ils commencent à voir comment la technologie pourrait améliorer le service et l’expérience qu’ils fournissent aux clients.
En guise de conclusion
Ce n’est pas parce que le changement d’aujourd’hui semble minime que les bureaux devraient glisser vers la complaisance. L’évolution peut sembler lente pour le moment, mais la rupture se produira avec le temps, car la valeur qu’offrent les nouveaux modèles juridiques est tout simplement trop convaincante. Les bureaux traditionnels feraient bien de se demander « Comment pouvons-nous changer maintenant ? Comment pouvons-nous améliorer la productivité et livrer la valeur qu’exige un acheteur de plus en plus sophistiqué ? » Les bureaux qui attendront jusqu’à ce que la rupture survienne pourraient découvrir qu’il est alors trop tard.
1 Downes, Larry et Paul Nunes. Blockbuster Becomes a Casualty of Big Bang Disruption. Harvard Business Review. 7 nov. 2013.
2 Zent, Monica. 3 Reasons the Legal Industry’s Ripe for Tech Disruption. HuffingtonPost.com. 21 mars 2016.
3 Christensen, Clayton. The Innovator’s Dilemma: the Revolutionary Book That Will Change the Way You Do Business. HarperBusiness. 2000.
4 Furlong, Jordan. Why law firms should focus on adaptation, not disruption. LegalBusinessWorld.com. 27 oct. 2016.
5 Simpson, Kate. Disrupting from within. Canadian Lawyer. 8 janv. 2018.