En 2004, la Loi sur la procréation assistée a été adoptée pour officialiser et moderniser la politique gouvernementale en matière de formation des familles et de méthodes de procréation assistée. Depuis ce temps, les cliniques de fertilité offrant des techniques de reproduction assistée (dans lesquelles intervient une tierce personne) sont devenues chose courante.
Quatorze ans plus tard, le gouvernement fédéral cherche donc à obtenir l’avis des personnes intéressées afin de mettre à jour cette loi importante. Le mois dernier, Ginette Petitpas, ministre de la Santé, a annoncé que « Le gouvernement du Canada prend les mesures nécessaires pour aider les Canadiens qui utilisent les techniques de reproduction à le faire en toute sécurité et en toute tranquillité d’esprit. Le nouveau règlement proposé contribuera à protéger la santé et la sécurité des femmes et des enfants partout au Canada. Il offrira également aux couples aux prises avec l’infertilité, aux célibataires, aux couples de même sexe et aux autres membres de la communauté LGBTQ2 une plus grande souplesse pour fonder leur famille. »
Le nombre de maternités de substitution a presque doublé au cours des huit dernières années, passant de 285 en 2010 à plus de 700 actuellement.
En quête de nouvelles règles
Santé Canada propose trois ensembles de nouveaux règlements en vertu de la Loi sur la procréation assistée afin :
- D’établir un cadre pour réduire les risques pour la santé et la sécurité associés à l’utilisation de spermatozoïdes et d’ovules de donneurs;
- De préciser les catégories de dépenses qui peuvent être remboursées aux donneurs et aux mères porteuses;
- D’établir des procédures concernant l’administration et l’application de la Loi.
Des modifications mineures seront aussi apportées au règlement actuel sur le consentement, notamment par l’introduction d’une exigence de conservation des dossiers.
Avant que tout traitement de fertilité soit entrepris, des ententes juridiques couvrant une vaste gamme de questions entre les donneurs, les mères porteuses et les futurs parents doivent être conclues. Kelly Jordan est avocate en droit de la famille à Toronto et médiatrice spécialisée en droit de la procréation. Elle prépare des ententes de maternité de substitution, des ententes de don d’ovules/de spermatozoïdes et obtient des déclarations officielles de filiation.
Selon elle, il est grand temps que la Loi soit modifiée. « Je crois qu’il est bon que les personnes et les entreprises intéressées, comme les cliniques de fertilité, aient eu du temps pour répondre. Il y a eu certaines zones grises, surtout en ce qui concerne les dépenses admissibles, pour lesquelles il a été très difficile de conseiller les clients, dit-elle. Des dépenses peuvent être remboursées aux mères porteuses, mais le règlement ne définit pas ces dépenses. »
Elle fait remarquer qu’il existe un déséquilibre important entre le nombre de couples en quête de traitements de fertilité et le nombre de donneurs. Me Jordan dit que « Le nombre de mères porteuses potentielles doit croître, et cela ne se produira pas à moins que certains aspects de la Loi soient codifiés pour rendre le programme plus attrayant. »
Historiquement, les directives sur les dépenses acceptables ont été à la fois vagues et lourdes à mettre en œuvre. La mère porteuse devait subir des inconvénients et perdre un temps démesuré à obtenir de son médecin l’approbation des dépenses. Des rumeurs de paiements non officiels de parents aux mères porteuses circulent depuis des années.
Le paiement des dépenses : au cœur du mouvement pour le changement
Santé Canada propose maintenant la couverture de tout un éventail de dépenses, y compris l’hébergement de la mère porteuse, l’obtention des dossiers médicaux, les frais relatifs à une assurance-maladie, une assurance-vie ou une assurance-invalidité, tout médicament ou tout instrument associé, les vêtements de maternité, les services de consultation et les services juridiques et les soins de personnes à charge.
Me Jordan dit qu’il faudrait aussi inclure les dépenses alimentaires. « Dans certains cas, il arrive que les futurs parents souhaitent que la mère porteuse adopte un régime alimentaire spécialisé, qui peut entraîner des coûts additionnels. »
D’un point de vue financier, la perte de revenu de travail à cause de la grossesse est sans doute l’enjeu le plus important. Me Jordan aimerait que la période de couverture de la perte de revenu de travail soit étendue au-delà de la période de la maternité de substitution pour inclure les mois suivants. « Actuellement, la loi fédérale prévoit des paiements à la mère porteuse pour couvrir la perte de revenu jusqu’à la date de la naissance, et ensuite rien », dit-elle.
C’est ironique, car les mères canadiennes profitent du soutien offert par un congé de maternité payé par l’entremise de leurs contributions à l’assurance-emploi. Me Jordan ajoute : « Une mère porteuse ne devrait rien sortir de sa poche, ni durant la grossesse ni après. »
D’autres facteurs en jeu
Un autre changement majeur que souhaite Me Jordan concerne la manière dont sont présentement traitées les infractions à la loi sur la maternité de substitution. « On poursuit les contrevenants au criminel, ce qui semble très injuste étant donné le geste généreux et idéaliste qu’exige la maternité de substitution. Il me semble que le système judiciaire criminel n’est pas le bon endroit pour résoudre les questions relatives à la santé », dit-elle. Payer une mère porteuse peut entraîner une peine de prison de 10 ans et des amendes élevées, allant jusqu’à 500 000 $, bien que Santé Canada n’ait poursuivi avec succès qu’une seule fois.
D’autres changements mineurs comprennent la facilitation d’une manière plus directe de faire don d’ovules ou de spermatozoïdes. Le gouvernement propose également de lever l’exclusion à vie des donneurs anonymes de sexe masculin qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes.
L’objectif de ces consultations est de clarifier la loi existante, mais une proposition alternative, potentiellement controversée, a récemment fait l’objet de l’attention des médias. En mai, le député libéral Andrew Housefather a déposé un projet de loi privé à la Chambre des communes qui légaliserait les paiements versés aux mères porteuses qui sont de tierces parties.
M. Housefather, qui préside le comité de la justice de la Chambre des Communes, a présentement l’appui du caucus féminin du Parti libéral. Le projet de loi, C-404, n’a pas encore donné lieu à une première lecture à la Chambre des Communes. Il existe des arguments solides à la fois pour et contre le paiement des mères porteuses : 40 États américains le permettent actuellement. Au Canada, cependant, le rôle de la mère porteuse a été perçu comme un service hautement altruiste.
De nombreux observateurs trouvent que Santé Canada ne va pas assez loin dans le règlement actuellement proposé en ce qui concerne le paiement pour la maternité de substitution, qui a le potentiel de devenir un terrain politiquement miné. Après l’annonce en octobre, l’expert en bioéthique de l’Université de Toronto Kerry Bowman a déclaré à la CBC : « Nous pourrions avoir des femmes prisonnières de situations de pauvreté, qui le font, non pas parce qu’elles veulent mettre leur corps en jeu, mais parce qu’elles ont bel et bien besoin d’argent. » Il fait remarquer que l’Inde et la Thaïlande ont rendu illégaux les services de maternité de substitution commerciaux, bien que des publicités faisant la promotion de cliniques de fertilité mexicaines prolifèrent sur Internet.
L’ABC et l’ABO ont toutes deux pressé tous les ordres de gouvernement à combler les lacunes de la loi actuelle sur les techniques de procréation assistée, particulièrement quand elles affectent la composition familiale – notamment pour les personnes célibataires, les couples LGBT et les personnes ayant des problèmes de fertilité.
Les consultations sur le nouveau règlement proposé prendront fin le 10 janvier 2019.