Les avocates Molly Reynolds et Nicola Shaver racontent leurs expériences comme participantes à la Marche des femmes vers Washington, le 21 janvier à Washington, D.C.
« Quand je pense à me battre pour une cause, au plan politique, dans ma collectivité, en cour; lorsque j’essaie de dénoncer l’inégalité… je vais me souvenir de ces voix. »
Molly Reynolds, Torys LLP
Le 20 janvier, je suis partie tôt du travail et je me suis entassée, avec ma femme et trois amies, y compris Lisa Del Col, ma compatriote des finissants de 2008 de la faculté de droit d’Osgoode Hall, et nous sommes parties pour le District de Columbia pour rejoindre la Marche des femmes vers Washington. Dès que nous avons pris le métro tôt samedi matin et vu une mer de chapeaux roses, nous savions que nous avions eu raison de penser qu’être là, en personne, à Washington, le 21 janvier 2017, allait être l’expérience d’une vie.
Il est difficile d’expliquer pourquoi nous sentions que nous devions y aller. Nous sommes toutes activistes de différentes façons et à différentes échelles, dans notre travail, nos études, notre bénévolat communautaire, nos conversations avec des amis ou des étrangers. Nous ressentions une colère énorme au sujet de la rhétorique de la campagne de Trump et le résultat de l’élection nous désespérait.
Après des mois à nous abonner à des groupes Facebook pour les femmes appuyant Clinton et les juristes voulant protéger le « bon gouvernement », à partager des articles alertant les gens au sujet des menaces envers les États-Unis tels que nous les connaissons et à nous appuyer les unes aux autres en nous inquiétant pour l’avenir, nous avions besoin de faire quelque chose pour démontrer activement notre soutien aux Américains, aux femmes et aux groupes visant l’équité, qui sont menacés par la nouvelle administration. Nous voulions montrer que nous voyons que les gains en droits civils réalisés depuis un demi-siècle aux États-Unis sont menacés. Nous voulions démontrer que nous – Canadiennes, avocates, femmes, féministes, personnes jouissant d’une kyrielle de privilèges – résisterons aux menaces contre la liberté de presse, contre les droits durement acquis des femmes, des personnes de couleur, des personnes LGBT, de ceux qui ont besoin de soins de santé. Nous voulions démontrer que nous n’ignorerons pas les menaces à la règle de droit simplement parce que nos passeports sont canadiens.
Alors qu’avons-nous vu ? De la solidarité. Des centaines de milliers de personnes qui voulaient que leur parole soit entendue, que leur présence compte, des gens en colère au sujet des menaces que fait planer sur les États-Unis, étonnamment, son propre nouveau président. Et pourtant c’était une foule qui se divisait instantanément lorsqu’un véhicule d’urgence avait à passer, qui permettait avec joie le passage de groupes à travers de la foule sans les disperser, qui amplifiait avec des centaines de voix les instructions sortant d’un mégaphone à propos des endroits où obtenir de l’aide médicale au besoin.
J’ai gardé en moi ce que j’ai entendu. Ces voix. Des vagues d’acclamations, de slogans, de cris prenant naissance plusieurs pâtés de maison derrière nous, approchant comme une marée de notre section de marcheurs, nous poussant à élever nos voix en chœur en passant par-dessus nous. Un rassemblement de voix exprimant la peur, la colère, l’espoir et le soulagement que tant d’autres ressentent la même chose, le désespoir et la persévérance pour les années de travail à venir. Ces sons ne peuvent être exprimés par un écriteau ni par la une des journaux ou un décompte du nombre de gens qui ont manifesté dans les villes du monde entier.
Quand je pense à me battre pour une cause, au plan politique, dans ma collectivité, en cour; lorsque j’essaie de dénoncer l’inégalité, lorsque je me rappelle d’écouter ceux qui ont des expériences de vie différentes au lieu de parler en leur nom, je vais me souvenir de ces voix. Nous portions des t-shirts arborant la citation célèbre de Nellie McClung qui se termine par « faites ce qu’il y a à faire et laissez hurler les autres. » Pour ce mouvement, le hurlement a peut-être incité à l’action.
Molly Reynolds est première avocate adjointe chez Torys LLP à Toronto et membre de l’exécutif de la Section Droit de la protection de la vie privée de l’ABO.
« Je suis devenue avocate parce que je crois à la justice, à l’égalité, et aux droits de la personne pour tous. »
Nicola Shaver, Stikeman Elliott
Quand la foule a poussé un rugissement puissant qui s’est réverbéré de rue en rue, je savais que l’événement allait prendre une envergure bien plus grande que prévu par quiconque. En me rendant à la Marche des femmes vers Washington à partir de mon logement de Capitol Hill, déjà je voyais des femmes à chapeau rose à perte de vue. J’avais acheté mes billets pour Washington en novembre, avant que les autres marches soient organisées, parce que je savais que je devais faire quelque chose en réaction aux résultats de l’élection américaine. Je suis devenue avocate parce que je crois à la justice, à l’égalité, et aux droits de la personne pour tous. Le succès d’un candidat comme Trump m’a fait grandement craindre que tout progrès obtenu dans ces enjeux au cours des dix dernières années puisse reculer.
Trois mois plus tard, j’y étais, au milieu d’une foule comme je n’en avais jamais vu, entourée de gens qui se souciaient assez des droits pour sortir et physiquement appuyer la cause. J’ai vu des pancartes évoquant, en images ou en mots, l’esprit des quatre femmes qui ont été juges à la Cour suprême des États-Unis. L’une de celles-ci était un portrait grandeur nature de Ruth Bader Ginsberg, elle-même portant un écriteau disant « I dissent » (« je suis en dissidence »).
Les manifestants couvraient chaque pouce de chaque rue dans laquelle j’ai pu me glisser, et pourtant il n’y avait pas ombre d’agressivité. On nous avait dit qu’il n’y aurait pas de marche parce que les protestataires remplissaient déjà tout le trajet prévu. Nous avons néanmoins marché. Une rue n’aurait pas suffi. Nous avons défilé le long du Mall et de trois rues parallèles. Du Capitole au Monument, de celui-ci à la Maison-Blanche, et au-delà.
Les policiers semblaient abasourdis par la gentillesse de la foule (j’ai vu des femmes acheter un café à des agents) et par l’absence d’incidents violents. À l’occasion, la foule se séparait d’une façon invraisemblable pour laisser passer un fauteuil roulant, notamment un qui transportait une octogénaire portant une pancarte : « Not usually a protester but Geez… » (« Pas habituellement protestataire, mais là… »). J’ai été submergée par des vagues d’émotions, allant de l’espoir et du plaisir de voir que tant de gens (plus d’un million dans cette ville seulement, nous a dit un policier) s’étaient rassemblés pour la cause, au désespoir qu’il soit encore nécessaire de manifester pour les droits des femmes, les droits des gais, la vie des Noirs, la vie des immigrants, les choix liés au genre, le droit de choisir, le respect pour les gens qui vivent avec une incapacité…
Dès qu’ils en avaient la chance, des gens grimpaient sur des arbres, des réverbères, des camions et des immeubles, pour avoir une meilleure vue ou un meilleur podium d’où scander un slogan. Sur la pelouse devant la Maison-Blanche, quelqu’un a allumé un haut-parleur et la foule s’est mise à danser et à chanter sur des hymnes féminins classiques, comme Respect d’Aretha Franklin. Quand j’ai quitté la marche, huit heures plus tard, elle se poursuivait au-delà de la ville et je me demandais où elle finirait. Plus tard, les protestataires ont laissé toutes leurs pancartes sur la clôture devant la Maison-Blanche et le long des murs de l’hôtel Trump. Le jour gris se terminait par un soleil couchant qui rosissait les appels au président de nous entendre, de nous écouter.
Nicola Shaver est une avocate formée en Australie, qui travaille présentement comme directrice de la gestion du savoir chez Stikeman Elliott LLP. Elle croit qu’il faut défendre ses idées et a écrit et publié de nombreux articles sur la vie privée et la liberté d’expression. Nicola étudie pour rallier les rangs du Barreau de l’Ontario.
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Images fournies par les auteures.
En couverture : Mme Jane Campbell/Shutterstock, Inc.