Droit alimentaire. Certains fin finauds ne peuvent pas prononcer ces deux mots ensemble sans dire : « Vous devriez poursuivre mon mari au motif qu’il ne sait pas cuisiner! » ou, encore mieux, « Alors quoi, vous représentez des tomates? » À bien des égards, définir le droit alimentaire c’est comme définir les aliments canadiens – de nombreuses personnes admettront que la poutine et les sandwiches de bacon de dos enrobé de semoule de maïs entrent dans la définition générale, mais elles hésiteront peut-être à définir le terme de façon générale. D’autres admettront aisément que consacrer sa pratique exclusivement à la représentation de restaurants et qu’occuper un poste touchant à la réglementation au ministère des Pêches pourraient, tous deux, être considérés comme des professions en droit en alimentaire. Le défi consiste à réconcilier les deux en un seul domaine de pratique.
S’il est vrai que les avocats, les recherchistes, les décideurs et les organisations prennent une part importante dans le secteur alimentaire, ces acteurs touchent fréquemment aux systèmes alimentaires par le biais d’une discipline ou d’une perspective spécifique, comme l’agriculture, la santé la sécurité, la réglementation et l’innovation, la pauvreté et la justice sociale, la restauration ou la planification environnementale. Toutefois, pendant que le monde culinaire hyperraffiné accorde plus d’importance au lien entre la durabilité, les droits individuels et les aliments dans nos assiettes, la profession juridique se doit d’évoluer pour répondre à la demande immense de représentation. Gardant ceci à l’esprit, j’ai pris l’avion pour Halifax pour assister à la première conférence nationale sur le droit alimentaire au Canada[1].
Une conférence sans précédent
Du 3 au 4 novembre 2016, la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie et Avocats canadiens en droit alimentaire, en collaboration avec MacEachen Institute for Public Policy and Governance, ont réuni un groupe de 120 participants pour une conférence nationale de deux jours pour explorer l’évolution des lois et des politiques dans les systèmes alimentaires du Canada. Des spécialistes de plusieurs disciplines et venant de divers emplacements géographiques (six provinces, trois pays, quinze cabinets d’avocats et trente universités) ont apporté leurs points de vue de la pratique, du gouvernement, du secteur à but non lucratif et des milieux universitaires.
Cette conférence a notamment été rendue possible grâce à Glenford Jameson et à Shannon Paine, du cabinet d’avocats G.S. Jameson & Company ayant pignon sur rue à Toronto et se spécialisant fièrement en droit alimentaire. En plus d’avoir bâti une pratique (avec une propension à servir les organisations à but non lucratif) principalement axée sur la représentation de clients dans le secteur de l’alimentation, le duo est aussi responsable au premier chef de l’organisation Food Lawyers of Canada (Avocats canadiens en droit alimentaire). Il leur a fallu plus d’un an, avec l’aide du professeur Jamie Baxter et de l’étudiante Jessica Rose de l’Université Dalhousie, à concrétiser cet événement remarquable.
L’auditoire était très diversifié, non seulement au chapitre de l’ethnicité, du style et de l’âge des participants, mais également au chapitre des questions qu’ils ont soulevées, et, mieux encore, au chapitre des clients qu’ils représentaient. Parmi les participants, il y avait en grande partie des avocats de tous les domaines de pratique, des conseillers juridiques d’entreprise et des étudiants en droit, mais aussi des représentants de Santé Canada, de l’Association canadienne des boissons, de divers groupes des Premières Nations et même des représentants d’une ferme d’insectes. Chaque conférencier faisait état d’une nouvelle perspective et partageait des renseignements sur les créneaux dans le secteur de l’alimentation.
Lors d’une présentation sur la criminalisation relative à la violation de la législation alimentaire, les avocats, Frank Portman et Jeremy Schwartz, spécialisés en droit du travail et de l’emploi au cabinet Stringer LLP, ont expliqué la complexité entourant la responsabilité des administrateurs lorsqu’il est question de violations du régime d’étiquetage des aliments, puis le criminaliste, Gerald Chan du cabinet Stockwoods LLP, a traité des sanctions criminelles et quasi criminelles lorsque des poulets non biologiques sont mélangés avec un élevage de poulets biologiques. Ces trois avocats sont profondément enracinés dans leur domaine de pratique respectif, mais ils admettent cependant qu’ils sont aussi des avocats pratiquant en droit alimentaire lorsqu’on leur demande. Au programme, il y avait aussi un avocat en valeurs mobilières[2] ayant déménagé à Kelowna pour consacrer sa pratique à la réglementation du vin et un ancien barman[3], maintenant avocat plaidant en droit civil, conseillant fréquemment des clients sur les lois et les règlements concernant les boissons alcooliques en Colombie-Britannique.
Éveiller nos papilles
Compte de la nature unique de cet événement et les liens étroits entre l’Université Dalhousie et la
Nouvelle-Écosse, le volet culinaire de la conférence était, en prime, bien au-delà de mes attentes. En plus de toujours bien manger à Halifax, un des éléments principaux du week-end était la conférence de Bryant Terry – gagnant du James Beard Leadership Award, auteur et, actuellement, chef en résidence au Museum of the African Diaspora à San Francisco – tenue au Halifax Seaport Market.
La conférence s’est associée au Devour! The Food Film Fest, le plus grand festival au monde combinant art cinématographique et art culinaire. Il y a d’abord eu le visionnement du film The Chocolate Case, un formidable documentaire qui traite de l’éthique et de la gestion de la chaîne d’approvisionnement du commerce du chocolat, puis une table ronde, dirigée par Me Jameson, à laquelle ont pris part le réalisateur du film, Benthe Forrer, et la professeure Melissa Card de l’Institute for Food Laws and Regulations de l’État du Michigan. Ce plaisir – comme si ce n’était pas assez (sans parler de tout le chocolat mangé) –, était suivi d’une compétition culinaire, le Oceanwise Chowder Smackdown, à laquelle participaient les meilleurs restaurants et chefs d’Halifax, puis d’un cinq à sept où les huîtres volaient la vedette.
J’ignore comment les organisateurs de l’an prochain arriveront à trouver de pareils événements culinaires complémentaires et en temps voulu. Mais avec le franc succès de la conférence de cette année, j’espère que les villes de Montréal, de Toronto ou d’Ottawa trouveront l’inspiration pour organiser un événement aussi créatif.
Regard vers l’avenir…
Des mois après la conférence, j’arrive à peine à formuler une définition exhaustive du droit alimentaire qui me soit satisfaisante. Toutefois, comme le soulignait fort judicieusement le dernier conférencier d’honneur, Michael Roberts, directeur général du Resnick Program for Food Law & Policy de la faculté de droit de l’Université UCLA, peut-être qu’il faudrait d’abord répondre à la question : Qu’entend-on par aliment?
De la réglementation des truffes et du lait maternel, au secteur privé de la traçabilité des épinards en sachet, cette conférence était un forum unique pour tisser des liens, partager des idées, évaluer des ressources et des besoins communs et regarder vers l’avenir. Si le droit alimentaire au Canada commence tout juste à se définir et à définir le rôle de ses participants, à tout le moins, la conférence aura servi de premières étapes vers une approche plus globale.
En l’état actuel, il semble que le droit alimentaire est un mouvement, une perspective et, de surcroît, un cadre à propos duquel il faut penser à notre environnement et aux choses que nous consommons. Peut-être que le droit alimentaire de deviendra jamais un domaine de pratique au sens traditionnel, mais il n’en revient qu’à nous d’en décider autrement.
Pour en apprendre davantage sur la conférence, et le droit alimentaire au Canada, visitez le site Web de Food Lawyers of Canada (Avocats canadiens en droit alimentaire).
A propos de l'auteur
Annie Chu est avocate chez Brauti Thorning Zibarras. Sa pratique est principalement axée sur le droit de la famille et le litige civil. Elle possède une expérience de travail considérable avec des clients du secteur alimentaire. Me Chu est membre actif du Rotary Club of Toronto et fondatrice du blogue de voyage culinaire, Chu on This.
Me Chu parle l’anglais, le français et le mandarin.
[1] La première conférence nationale sur le droit alimentaire en son genre.
[2] Al Hudec, associé principal, Farris, Vaughan, Wills & Murphy LLP.
[3] Daniel Coles, Owen Bird Law Corporation.