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Réexaminer la constitutionnalité des lois canadiennes sur la pornographie juvénile

  • 02 février 2017
  • Brock B. Jones

Les lois canadiennes sur la pornographie juvénile pourraient-elles être inconstitutionnelles ?

La question semble étrange, ne serait-ce que parce qu’à première vue, elle semble déjà tranchée. Dans R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, la Cour suprême du Canada a répondu à une contestation constitutionnelle de la validité des lois canadiennes sur la pornographie juvénile. La Cour a conclu que la prohibition relative à la possession de pornographie juvénile que contient le Code criminel était conforme à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le fait que le législateur a légitimement criminalisé la possession de matériel suscitant une crainte raisonnée qu’un préjudice soit causé à des enfants a été au cœur de l’analyse du tribunal.

Pourtant, une décision récente de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, R. c. M.B., 2016 BCCA 476, suggère qu’un réexamen de cette décision pourrait être imminent à la lumière d’un paysage juridique changeant et de la révolution technologique rapide qui s’est produite depuis que la décision Sharpe a été rendue.

Sharpe, un accusé adulte, a été accusé de possession d’une disquette informatique localisée par Douanes Canada et de matériel divers trouvé lors d’une fouille de son domicile, notamment des ouvrages, des manuscrits, des récits et des photos. La Couronne a allégué que chaque article constituait ou contenait de la pornographie juvénile. La Cour suprême a reconnu l’importance de la criminalisation de la possession et de la distribution de la pornographie juvénile, mais elle a aussi reconnu que les dispositions du Code criminel pourraient englober deux catégories de matériel que l’on peut normalement ne pas considérer comme étant de la « pornographie juvénile » et qui ne présentent que peu ou pas de risques pour les enfants. Ainsi, la Cour a attaché au sens du Code criminel deux exceptions visant à assurer que la loi n’ait pas une portée excessive la rendant inconstitutionnelle : 1) tout matériel écrit ou représentation visuelle qui a été créé personnellement par l’accusé et détenu par l’accusé seul, pour son propre usage exclusif; 2) tout enregistrement visuel qui a créé par l’accusé ou dans lequel il figure, pour autant que cet enregistrement ne représente que des activités sexuelles légales et qu’il soit détenu par l’accusé et destiné à un usage personnel seulement.

Quinze ans plus tard, un nouvel ensemble de faits inimaginables pour la Cour suprême de 2001 peut ramener le caractère légitime de ces dispositions devant les tribunaux. Et le résultat semble étonnamment imprévisible.

Dans M.B., l’accusée était une jeune personne. Son copain avait conservé des images intimes de son ex-petite amie, C.B., sur son téléphone intelligent. M.B. a découvert et ensuite distribué ces images intimes de C.B. (qui avait de 14 à 16 ans au moment où les images avaient été prises) sans son consentement, dans un effort apparent pour l’humilier. Cela a été fait principalement par l’entremise du feu de brousse non maîtrisé que sont les médias sociaux, y compris par messagerie directe sur Facebook. Elle a été accusée de possession et de distribution de pornographie juvénile (paragraphes 163.1(2) et (3) du Code criminel).

M.B. a contesté la constitutionnalité des dispositions touchant la pornographie juvénile et a allégué que Sharpe ne s’appliquait pas pour deux raisons. D’abord, que ce type de comportement (la tendance généralisée par laquelle les adolescents envoient des photos intimes les uns des autres par l’entremise de téléphones intelligents dotés d’appareils photo numériques ou des réseaux sociaux) n’existait tout simplement pas en 2001. Deuxièmement, la jurisprudence touchant l’article 7 de la Charte a traversé une telle révolution depuis Sharpe qu’une nouvelle analyse juridique était requise pour déterminer si les dispositions étaient maintenant inconstitutionnelles.

Le juge de l’instance a refusé de débattre de la contestation et conclu que la décision Sharpe était exécutoire. M.B. a interjeté appel.

Dans Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, la Cour suprême a conclu que les juges de première instance peuvent se prononcer sur les conclusions établies de tribunaux supérieurs dans deux situations : 1) lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées et 2) lorsqu’un changement des circonstances ou de la preuve « change radicalement la donne[1] ». M.B. a allégué que ces deux avenues justifiaient de lui octroyer une audience devant un tribunal d’instance afin de rouvrir la contestation constitutionnelle des dispositions sur la pornographie juvénile en question.

Dans une décision volumineuse, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique en a convenu. La Cour d’appel a relevé que la jurisprudence de la Cour suprême portant sur l’article 7 de la Charte et sa façon d’interagir avec l’article 1 avait subi une évolution importante depuis la publication de la décision Sharpe[2]. De plus, l’importance de distinguer les analyses requises par chaque article représentait une nouvelle question de droit, comme l’envisageait Bedford[3].

De plus, la Cour d’appel a refusé d’écarter la possibilité que M.B. puisse établir une violation de l’article 7 de la Charte en produisant des preuves sur « [traduction] la nature des torts causés par la distribution par les jeunes d’images intimes comparativement aux torts qu’ils subissent en étant confrontés au système de justice pénale à cause de “sextageˮ (…) et le stigmate associé à une condamnation pour pornographie juvénile[4] ». La tenue d’un nouveau procès a été ordonnée.

Cette décision est remarquable pour plusieurs raisons. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique semble avoir reconnu, même si c’est de façon tangentielle à ce point-ci, qu’il existe en effet des torts associés au simple fait que de jeunes gens se frottent au système de justice pénale (c.-à-d. en étant accusés), surtout dans le contexte d’un crime hautement stigmatisé comme la possession et la distribution de pornographie juvénile. Ces torts devront être évalués et soupesés avec la valeur sociale de la prohibition criminelle, tant pour les jeunes que pour les adultes, d’envoyer des images intimes (pouvant constituer de la pornographie juvénile) sans consentement.

Deuxièmement, la décision de la Cour suggère que l’évolution technologique rapide et les modèles comportementaux qui se déploient à ses côtés peuvent former un fondement permettant de rouvrir certaines questions constitutionnelles qui semblaient réglées. Mais qu’arrive-t-il si dans cinq ans, les adolescents se servent, en ce qui concerne l’imagerie sexuelle, de technologies non encore développées qui « change[nt] radicalement la donne » encore une fois ? Demandera-t-on aux tribunaux de rouvrir ces questions avec une régularité croissante ? De telles contestations sans fin de nos lois criminelles pourraient représenter un cauchemar sisyphéen, dont des litiges constitutionnels interminables constitueraient le seul résultat certain.

Il ne semble pas que les tribunaux de l’Ontario aient eu à trancher une cause de cette nature. Il est peut-être inévitable que cela se produise. Et peu importe la décision qui sera rendue par un tribunal d’instance de la Colombie-Britannique, il faudra peut-être un appel à la Cour suprême du Canada pour déterminer si c’est véritablement ce que la Cour envisageait lorsqu’elle a permis que soit réexaminée une loi dont la validité constitutionnelle avait été « réglée ».

La seule chose certaine, même en contexte criminel et constitutionnel, pourrait être l’incertitude elle-même.

À propos de l’auteur

Brock B. JonesBrock Jones est procureur de la couronne depuis plus de dix ans, sa pratique étant axée sur le droit criminel, les jeunes contrevenants et le droit constitutionnel. Il est professeur adjoint à la faculté de droit de l’Université de Toronto.


[1] Bedford au paragraphe 42.

[2] La Cour a tenu compte des développements dans R. c. Malmo-Levine, 2003 CSC 74; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5; Bedford, supra; et R. c. Safarzadeh-Markhali, 2016 CSC 14.

[3] M.B. au paragraphe 67.

[4] M.B. au paragraphe 73.

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