Dans son budget du 22 mars 2017, le gouvernement fédéral proposait d’éliminer l’option d’inclure la valeur des travaux en cours (« TEC ») du calcul du revenu imposable de certains professionnels, notamment les avocats. Les mesures fiscales proposées auraient un impact sur le système comptable des avocats et sur la déclaration de leurs revenus dans les années à venir.
Actuellement, les avocats sont tenus d’inclure la valeur de leurs TEC à la fin de l’année pour le calcul de leurs revenus imposables. On peut toutefois choisir d’exclure les TEC et calculer les revenus imposables selon le montant réellement facturé. En d’autres mots, les avocats peuvent reporter l’impôt à payer sur les TEC jusqu’à ce que ceux-ci soient facturés, tout en continuant à déduire les dépenses associées à ces TEC l’année où ces dépenses sont engagées. Il en résulte un décalage entre les revenus et les dépenses à des fins fiscales, et c’est l’une des raisons de la proposition du gouvernement fédéral d’éliminer l’option d’exclure les TEC.
Les modifications proposées exigent que, pour le premier exercice fiscal commençant après le 21 mars 2017 (c’est-à-dire généralement à partir de l’exercice fiscal 2019), les personnes et les sociétés en nom collectif dont l’exercice prend fin le 31 décembre ne pourront plus exclure la valeur des TEC du calcul de leurs revenus imposables.
Comme les TEC d’un professionnel sont considérés comme figurant à son inventaire, ils seront imposés selon les règles fiscales qui s’y appliquent, suivant le plus bas montant entre leur coût ou leur juste valeur marchande (« JVM »).
Des allègements transitoires sont prévus pour mitiger l’effet des changements proposés pour les professionnels. En particulier, l’inclusion des TEC dans les revenus imposables sera mise en place progressivement au cours des cinq prochains exercices fiscaux. Ainsi, pour les avocats dont l’exercice fiscal correspond à l’année civile, le pourcentage des TEC qui devra être inclus dans le calcul des revenus imposables sera le suivant : 0 % en 2017, 20 % en 2018, 40 % en 2019, 60 % en 2020, 80 % en 2021 et 100 % en 2022 ainsi que pour les exercices fiscaux ultérieurs. Cela signifie que les avocats auront probablement à verser plus d’impôts au cours des prochains cinq exercices fiscaux.
Quand on y regarde de plus près, l’impact après impôt de l’inclusion des TEC pourrait ne pas être si onéreux. En effet, la portion des « profits » des TEC non facturés n’a pas à être incluse dans les revenus imposables. Prenons l’exemple suivant : Me Atticus Finch, qui exerce seul, a des TEC évalués à 20 000 $ au 31 décembre 2017. Pour simplifier, présupposons que les TEC de Me Finch restent au même niveau à la fin de chaque exercice fiscal, et que les coûts associés aux TEC sont de 16 000 $. Les profits sur les TEC seraient donc de 4 000 $. Pour l’année fiscale 2017, Me Finch peut reporter toute la valeur des TEC, soit 20 000 $. Pour l’exercice fiscal 2018, Me Finch inclura 3 200 $ dans ses revenus imposables, ce qui représente 20 % des coûts des TEC. Pour les exercices fiscaux 2019 à 2022, Me Finch continuera d’inclure 3 200 $ de plus annuellement dans ses revenus imposables, jusqu’à ce que tout le montant de 16 000 $ soit inclus dans les revenus.
Les règles proposées traitent l’ensemble des TEC comme ayant été facturés, mais l’imposition ne s’applique qu’à la partie des TEC qui représente un profit. Ainsi, plus l’écart est grand entre le coût des TEC et leur JVM, plus le montant qui peut être reporté à des fins fiscales est élevé. La détermination du coût et de la JVM des TEC est donc d’importance. Bien que les propositions ne définissent pas la JVM ni le coût des TEC, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a fourni certaines orientations au fil des ans. Selon l’ARC, la JVM des TEC d’une pratique juridique serait le montant qui a été facturé aux clients, et le coût des TEC est généralement limité aux salaires et aux débours directement reliés à la prestation du service en question. Les contribuables n’ont pas à inclure le temps d’un associé ou d’un propriétaire unique ni les coûts indirects fixes ou variables, comme les dépenses liées au secrétariat ou aux frais généraux du bureau, dans le calcul du coût des TEC.
Ces propositions ont inquiété la collectivité juridique, entre autres parce qu’elles ne distinguent pas les TEC en vertu d’un pacte de quota litis des TEC en vertu d’autres structures d’honoraires. Les avocats qui fournissent des services en vertu d’une entente sur les frais ne facturent généralement pas leurs honoraires avant qu’un règlement soit atteint, souvent des années plus tard. L’inclusion de tous les TEC dans les revenus imposables, dans le cas des ententes quota litis, et l’impôt sur ceux-ci, seraient donc particulièrement punitifs, considérant qu’aucune somme n’a été versée. Heureusement, l’ARC a reconnu cette possibilité et subséquemment annoncé qu’elle n’appliquera pas les modifications proposées aux ententes sur les frais. L’Association du Barreau canadien a néanmoins demandé des éclaircissements au ministre des Finances quant à savoir quelles ententes seront considérées comme des pactes quota litis, car les avocats peuvent avoir des ententes de facto sur les frais ou des ententes de paiement reporté dans lesquelles les honoraires peuvent ne pas dépendre entièrement d’un résultat satisfaisant, et que bien des facteurs sont hors du contrôle de l’avocat.
Les mesures fiscales proposées pourraient affecter les revenus imposables des avocats dans les années à venir, et elles exigeront une détermination de la JVM et des coûts des TEC à la fin de l’exercice fiscal. Pour les petits et moyens bureaux qui n’ont jamais encore effectué le suivi de leurs TEC, cela peut entraîner des frais considérables d’observance fiscale. Des demandes ont été soumises au ministère des Finances pour une exception de minimis visant les plus petits bureaux, et pour de l’orientation quant à la détermination du coût des TEC. Les avocats devraient consulter leurs conseillers fiscaux pour déterminer l’impact de ces propositions sur leur situation, ainsi que les mesures qui devront être prises pour se conformer à ces propositions.
A propos des auteurs
Dennis Tmej est expert-comptable et associé en fiscalité chez Grant Thornton LLP à Toronto.
Jin Wen est expert-comptable et gestionnaire principal au sein du groupe sur la fiscalité de Grant Thornton LLP à Toronto.