L’Ontario donne à ses municipalités le pouvoir de fixer un prix plafond pour du logement abordable dans un pourcentage des nouvelles maisons vendues. Est-ce là un remède viable à notre crise du logement, ou une idée qui fera encore grimper les coûts dans un marché déjà sous tension ?
Le Canada est aux prises avec une crise du logement. Du moins, dans certaines grandes villes canadiennes, la valeur de l’immobilier s’est envolée jusqu’à des sommets vertigineux au cours de la dernière décennie, et le prix des loyers avec elle. L’Organisation de coopération et de développement économiques place le Canada au troisième rang mondial des marchés immobiliers les plus surévalués, et au deuxième rang pour le rapport du prix des logements. La capitale de l’Ontario, Toronto, est la deuxième ville la plus chère pour l’immobilier, derrière Vancouver, le prix moyen d’une maison indépendante y étant maintenant de 1,2 million de dollars.
Depuis plusieurs années, les militants du logement social et les conseillers municipaux réclament des mesures pour du logement abordable. En mars dernier, le ministre ontarien des Affaires municipales et du Logement, Ted McMeekin, a annoncé la stratégie à long terme de son gouvernement pour le logement abordable, comprenant l’autorité, pour les villes et municipalités ontariennes, de créer du zonage d’inclusion.
Le zonage d’inclusion est un outil de planification municipale qui requiert des promoteurs qu’ils incluent du logement à moindre coût dans leurs nouveaux projets résidentiels. Ce type de zonage a été utilisé dans des villes américaines comme New York, San Francisco, Boston, Chicago et Washington. Dans tous ces territoires, selon l’Ontario Home Builders’ Association (« OHBA »), il y a des incitatifs au plan financier et au plan de la planification afin de soutenir les lotissements résidentiels.
Le printemps dernier, le gouvernement ontarien a déposé le Projet de loi 204, la Loi de 2016 sur la promotion du logement abordable et, le 14 septembre, une loi a été déposée à nouveau, qui exigera, si elle est adoptée, que certaines municipalités dotent leurs plans officiels de politiques de zonage d’inclusion.
Si ce projet de loi, qui met à jour la Stratégie ontarienne à long terme de logement abordable, a ses partisans (y compris le conseil municipal de Toronto), ses critiques s’inquiètent que le zonage d’inclusion pourrait pousser à la hausse les prix des nouvelles maisons mises en vente au prix courant. Ils remettent aussi en question son efficacité globale et son administration.
« Le logement n’est jamais gratuit : les nouveaux voisins paieront la facture du zonage d’inclusion », titrait un communiqué de presse de l’OHBA en mars, après l’annonce par le gouvernement provincial des changements prévus à la Stratégie ontarienne à long terme de logement abordable.
« L’industrie du logement comprend le besoin d’améliorer l’accessibilité à travers la grande région de Toronto et l’Ontario », a déclaré Michael Collins-Williams, directeur des politiques de l’OHBA. Mais « nous sommes très inquiets quant au projet de loi tel que déposé. » Les militants du zonage d’inclusion l’ont interprété comme signifiant « du logement abordable créé de toutes pièces, mais tout a un coût, ajoute-t-il. Quelqu’un doit payer. »
« Je ne crois pas qu’on puisse s’attendre à ce qu’une société vende son produit moins cher sans compenser ailleurs. »
Katarzyna Sliwa, associée de Dentons à Toronto et directrice de son groupe de droit municipal, d’aménagement et de développement du territoire, est d’accord. « Je crois que les nouveaux logements seront tout aussi chers pour la majorité des acheteurs » si le zonage d’inclusion est introduit, a déclaré Me Sliwa à JUSTE. « Je ne crois pas qu’on puisse s’attendre à ce qu’une société vende son produit moins cher sans compenser ailleurs. »
Me Sliwa renvoie à une étude de la Building Industry and Land Development Association (« BILD ») qui a tenté d’évaluer le montant, pour chaque nouveau logement de la région métropolitaine de Toronto, qui revient au gouvernement en frais de lotissement, droits de demandes et plus. Les promoteurs doivent respecter les exigences concernant la forêt-parc pour fournir des logements à trois chambres : acheter le terrain ou verser de l’argent à la municipalité.
« Les promoteurs n’ont pas nécessairement lutté contre le zonage d’inclusion, dit-elle, mais ils devraient y trouver un avantage, comme une exonération des frais de lotissement, ou un processus de demande expéditif », car celui-ci est long en Ontario, fait-elle remarquer. « Ils disent “ne faites pas de ça une nouvelle taxe, un autre niveau d’approbations à obtenir”. »
Lorsque le zonage d’inclusion fonctionne bien, selon M. Collins-Williams, c’est que des incitatifs ont été prévus. « Sept zones de New York ont été rezonées comme districts de zonage d’inclusion obligatoire », et la densité de construction « est insérée comme un compromis. Notre inquiétude est que si le gouvernement ne vient pas négocier, nous finirons avec une subvention pour du logement à faible coût en rendant d’autres logements [à valeur marchande] plus coûteux », avec « des millions ou des dizaines de millions qui doivent être récupérés sur les prix d’achat des autres logements. »
Une autre question concerne l’administration des logements abordables, afin de déterminer si la responsabilité du logement abordable doit appartenir au secteur privé.
« Comment contrôle-t-on qui finit dans ces appartements, ou quels besoins ont ces personnes ? se demande Me Sliwa. Des mesures doivent certainement être en place. Il y a un problème manifeste d’itinérance à Toronto. Mais comment doit-on le régler, et qui devrait payer ? Le gouvernement doit s’approprier le logement abordable. » En ce qui concerne la logistique, « Nous attendons maintenant que les règlements nous disent combien de logements devront être fournis. Qui supervisera le processus d’achat des logements abordables ? Y aura-t-il des restrictions quant à qui aura le droit d’acheter ces logements ou sont-ils la propriété [par exemple] de la Ville de Toronto ? »
Me Sliwa fait remarquer que l’article 37 de la Loi sur l’aménagement du territoire contient déjà l’exigence de fournir des logements abordables. « Habitat pour l’humanité s’est impliqué pour fournir des logements abordables, notamment des copropriétés. J’ai participé à quelques-uns de ces chantiers, et il doit y avoir une participation » par laquelle la famille dont la maison se fait construire doit contribuer à la construction avec environ 100 heures de son temps. « Pourquoi ne pas trouver un cadre dans lequel l’organisme pourrait améliorer son offre de logements abordables ? »
D’autres localités canadiennes, comme Vancouver et Montréal, appuient le logement abordable en fournissant du terrain pour les logements sociaux et les propriétés locatives bas de gamme, sans adopter de régime de zonage d’inclusion complet. À la suite de la deuxième lecture du Projet de loi 73, la Loi de 2015 pour une croissance intelligente de nos collectivités, l’Association of Municipalities Ontario a déclaré dans un communiqué qu’« une certaine discrétion locale est requise quant à la façon de mettre en œuvre cette approche selon les conditions de service. Toute intensification a un impact sur les plans d’infrastructure/de gestion des actifs/de capital de financement ainsi que sur les considérations de santé/sécurité. Il doit être noté que le zonage d’inclusion ne devrait pas être considéré comme une panacée pour tous les nouveaux lotissements de logement abordable. »
En vertu de la loi que propose l’Ontario, les logements abordables ne peuvent être séparés des logements à valeur marchande, mais doivent se trouver, par exemple, dans le même immeuble en copropriété ou dans le même complexe de maisons de ville.
« Selon ce que j’en comprends, d’autres régions [hors du Canada] ont eu de la difficulté avec la mise en œuvre, et il est difficile d’affirmer qu’il y a réellement eu une augmentation des logements abordables », a affirmé Me Sliwa. Elle rappelle que la Federation of Rental Housing-providers of Ontario a exprimé son inquiétude que le Projet de loi 204 cause la diminution du nombre de chantiers de logements locatifs, ce qui saperait l’objectif d’en avoir davantage.
« L’industrie du lotissement résidentiel s’attend à ce que le gouvernement mette l’accent sur le logement abordable. La question est de savoir si le zonage d’inclusion nous y mène. »
L’OHBA et la BILD font la promotion d’un cadre de partenariat entre les secteurs public et privé, qu’elles considèrent constituer la seule façon de garantir que la loi sur le zonage d’inclusion soit efficace.
« Nous avons dit au gouvernement que nous croyons qu’un modèle de partenariat constitue la meilleure solution, a dit M. Collins-Williams. Dans un tel cadre, le secteur privé et l’industrie du lotissement résidentiel accepteraient la responsabilité de développer le logement abordable, mais il devrait être entendu que la responsabilité véritable appartiendrait au secteur public. »
Les promoteurs accepteraient certains coûts à court terme pour la livraison, l’administration ainsi que l’investissement en équité et le risque encouru. Mais les gouvernements municipaux devraient couvrir les frais des promoteurs pour la livraison des logements, ajoute-t-il, en mentionnant les incitatifs offerts aux États-Unis : compensations, concessions et espaces de stationnement, entre autres. Les municipalités ontariennes pourraient offrir un congé de droits de cession immobilière ou de TVH, ou d’autres arrangements en vertu de l’article 37 de la Loi sur l’aménagement du territoire, note M. Collins-Williams.
L’article 37 permet aux municipalités d’accorder des augmentations de hauteur et de densité de lotissement en échange de recevoir des « installations, services ou autres avantages ». En vertu du Projet de loi 204, cependant, si une municipalité adopte un règlement de zonage d’inclusion, il sera interdit d’adopter un règlement en vertu de l’article 37 pour les mêmes terrains, bâtisses ou structures. Un promoteur devra donc bâtir des logements abordables côte à côte avec les logements à valeur marchande du même projet résidentiel, et n’aura pas la possibilité de fournir de l’argent au lieu d’autre chose en échange.
Et quel impact pourrait avoir cette loi sur l’exercice du droit en Ontario dans certains domaines, notamment en droit municipal, en planification et en immobilier ?
« Ce qui est intéressant, c’est que les politiques et règlements officiels d’aménagement que déposent les municipalités qui imposent le zonage d’inclusion ne peuvent faire l’objet d’un appel, sauf par le ministre », dit Me Sliwa. Elle ne s’attend pas à une augmentation des audiences de la Commission des affaires municipales de l’Ontario à cause de l’adoption du Projet de loi 204, cependant, et fait remarquer que l’industrie de la construction demande que les immeubles de moins de 100 logements ne soient pas inclus dans le zonage d’inclusion obligatoire. Et sans droit d’appel, la nouvelle loi « ne causerait pas plus d’audiences de la CAMO ».
M. Collins-Williams et Me Sliwa s’attendent tous deux à ce que le Projet de loi soit adopté sous une forme ou une autre. « La province a indiqué qu’elle ira de l’avant, dit le directeur des politiques de l’OHBA, mais elle consulte encore quant aux règles et à la structure qu’elle mettra en place.
Je crois que le gouvernement fera preuve de dynamisme pour faire adopter cette loi. Cela pourrait se produire avant Noël, mais nous n’avons aucune garantie. »
À propos de l’auteure
Elizabeth Raymer est une journaliste basée à Toronto qui se spécialise dans les questions juridiques.