Conseils pour faire face au harcèlement dans les bureaux d’avocats

  • 14 octobre 2016
  • Andrea Marsland

« Qui, moi ? Ça se peut pas ! »

Même si le harcèlement en milieu de travail est illégal, il s’en produit néanmoins dans les bureaux juridiques de la province, ce qui des défis uniques pour notre profession. Historiquement, on a perçu le « harcèlement » comme un enjeu de droits de la personne. En 2009, toutefois, le harcèlement est devenu une question de santé et sécurité au travail avec l’adoption du Projet de loi 168[1]. Le gouvernement de l’Ontario a introduit le Projet de loi 168 modifiant la Loi sur la santé et la sécurité au travail (la « LSST ») pour faire du harcèlement et de la violence en milieu de travail une question de santé et de sécurité. Plus récemment, le Projet de loi 132[2] a été plus loin encore, en modifiant la LSST pour traiter de la question du harcèlement sexuel en milieu de travail comme d’un enjeu de santé et sécurité.

Qu’est-ce que tout cela signifie ? Ou qu’est-ce que ça devrait signifier ?

L’époque où on appelait son adjointe « chérie », « bébé » ou « fille » est révolue. De nos jours, on ne crie plus après les débutants. On ne rabaisse plus les étudiants lorsqu’ils ratent une tâche. On ne demande plus aux avocats adjoints de « se sacrifier pour l’équipe » pour garder un client heureux. Ou du moins, on ne le devrait plus.

La LSST définit très largement le harcèlement au travail et le harcèlement sexuel au travail :

« Harcèlement au travail » s’entend a) du fait pour une personne d’adopter une ligne de conduite caractérisée par des remarques ou des gestes vexatoires contre un travailleur dans un lieu de travail lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns; b) du harcèlement sexuel au travail.

« Harcèlement sexuel au travail » s’entend a) du fait pour une personne d’adopter, pour des raisons fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle ou l’expression de l’identité sexuelle, une ligne de conduite caractérisée par des remarques ou des gestes vexatoires contre un travailleur dans un lieu de travail lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns; b) du fait pour une personne de faire des sollicitations ou des avances sexuelles alors qu’elle est en mesure d’accorder au travailleur ou de lui refuser un avantage ou une promotion et qu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces sollicitations ou ces avances sont importunes.

En plus d’être une question de droits de la personne et de santé et sécurité, le harcèlement est également abordé dans notre Code de déontologie et dans le Code de déontologie des parajuristes. Notre Code dit expressément : « L’avocat ne doit pas faire subir de harcèlement sexuel à un collègue, à un membre de son personnel, à un client ni à qui que ce soit. » Le Code de déontologie des parajuristes dit expressément : « Le parajuriste ne doit pas faire subir de harcèlement sexuel ou autre à un ou une collègue, à un membre de son personnel, à un client ou à une cliente ni à qui que ce soit en raison de sa race, de son ascendance, de son lieu d’origine, de sa couleur, de son origine ethnique, de sa citoyenneté, de sa croyance, de son sexe, de son orientation sexuelle, de son identité sexuelle, de l’expression de son identité sexuelle, de son âge, de l’existence d’un casier judiciaire, de son état matrimonial, de son état familial ou d’un handicap. »

Sans que ce texte devienne un article sur les règles de déontologie, il serait négligent de ma part de ne pas rappeler aux membres de la profession que le Barreau offre gratuitement au public, aux avocats et aux parajuristes de l’Ontario des services de conseil juridique en matière de discrimination et de harcèlement. Comme le dit le site Web sur le conseil juridique en matière de discrimination et de harcèlement, le Barreau a entre autres comme mandat d’enrayer la discrimination et le harcèlement au sein de la profession.

Le harcèlement peut survenir d’un seul incident ou d’une série d’incidents. Les types les plus fréquents de harcèlement en milieu de travail semblent appartenir à trois catégories : i) le harcèlement sexuel, ii) le harcèlement racial/ethnique et iii) l’intimidation.

Selon mon expérience comme conseillere sur ces questions auprès de bureaux d’avocats, je dirais que le harcèlement sexuel et l’intimidation sont les types de harcèlement les plus courants dans la pratique privée. Voici quelques exemples :

Ce qui peut constituer…

du harcèlement sexuel

  • des commentaires sur les attributs physiques d’une personne (« wow, ce chandail met tes atouts en valeur »)
  • un contact physique non désiré (p. ex., se pencher vers son adjoint et le toucher pendant qu’il écrit au clavier)
  • des remarques suggestives (« alors, comment vas-tu me remercier pour ça…? »)
  • des offres inopportunes d’intimité (« ma femme est en dehors de la ville ce week-end, pourquoi ne viendrais-tu pas chez moi pour qu’on finisse ce rapport ? »)
  • ne pas offrir le statut d’associée à une avocate parce qu’elle a pris un congé de maternité ou pourrait en prendre un dans le futur

de l’intimidation

  • faire des commérages à propos de collègues (« hé, as-tu entendu dire que… »)
  • isoler socialement une personne (« allons prendre un verre après cette requête, mais n’invitons pas… »)
  • rabaisser les réalisations d’un travailleur (« bon travail… j’y aurais mis la moitié moins de temps, mais bon travail quand même »)
  • constamment s’approprier le mérite pour le travail d’autrui

 

Et puis après ?

En vertu de la LSST, votre bureau, comme employeur en Ontario, se doit d’avoir en place ce qui suit en ce qui concerne le harcèlement :

  • Une politique de prévention du harcèlement
  • Un programme de mise en œuvre de la politique de prévention du harcèlement
  • De la formation relative au programme et à la politique de prévention du harcèlement

Pour les plus grands bureaux qui ont des représentants des ressources humaines qui sont plus ou moins externes à l’exercice du droit, la gestion du harcèlement en milieu de travail peut être un peu plus facile que pour un petit ou moyen bureau dans lequel les questions de ressources humaines sont gérées par les associés ou le gestionnaire de bureau. Cependant, ce n’est pas parce que la question est délicate qu’il faut la laisser sans réponse ni la gérer de façon ad hoc.

 

Conseils pour gérer les plaintes de harcèlement

Voici quelques conseils pour vous assurer que votre bureau respecte les lois applicables et que le processus de plainte et d’enquête fonctionne efficacement, en particulier pour les bureaux de petite et moyenne taille, dans lesquelles les ressources humaines sont gérées par les associés ou les gestionnaires.

  1. Vous devez avoir en place une politique et un programme anti-harcèlement détaillés et les suivre avec exactitude chaque fois. Non seulement la LSST exige qu’une telle politique et un tel programme soient en place, mais plus votre politique est détaillée, plus elle sera facile à administrer. Assurez-vous que votre politique soit approuvée par l’associé directeur du bureau. Cela démontre au personnel, aux étudiants et aux associés que le bureau prend la question au sérieux et que la politique a l’appui de la direction et du partenariat, le cas échéant.
  2. Votre politique doit comprendre :
  1. Des mesures et procédures permettant à votre équipe de signaler les incidents de harcèlement au travail. Notamment, il est important que votre politique fournisse une procédure pour le cas où le harceleur présumé est la personne à qui on ferait normalement état du problème. Je suggère de former un comité ou de désigner au moins deux personnes pour traiter les plaintes.
  2. Établissez très clairement comment les plaintes de harcèlement au travail feront l’objet d’une enquête. Pour que votre politique soit facile à administrer, précisez chaque étape du processus. Par exemple :

1re étape

Le plaignant remplit un formulaire de plainte dans lequel il nomme la personne qui fait l’objet de la plainte et tout témoin potentiel.

2e étape

Le formulaire de plainte est remis au comité de prévention du harcèlement ou à l’un de ses membres.

3e étape

Le comité de prévention du harcèlement ou l’un de ses membres examine la plainte avec le plaignant et s’assure que la plainte comporte tous les faits pertinents.

4e étape

Le comité de prévention du harcèlement ou l’un de ses membres rencontre les témoins et tout autre témoin nommé par ceux-ci.

5e étape

Le comité de prévention du harcèlement ou l’un de ses membres rencontre le répondant.

6e étape

Le comité de prévention du harcèlement ou l’un de ses membres rencontre tout témoin nommé par le répondant.

7e étape

Le comité de prévention du harcèlement ou l’un de ses membres prépare un rapport écrit sur la question, à présenter à la direction.

8e étape

La direction examine le rapport et décide si une mesure disciplinaire est requise et, le cas échéant, quelle pénalité peut être appropriée.

9e étape

Le comité de prévention du harcèlement ou l’un de ses membres rapportent les conclusions au plaignant et au répondant.

 

Au début de toutes ces entrevues, il est crucial que l’enquêteur communique aux personnes impliquées que le processus est confidentiel et que les renseignements ne seront partagés qu’avec les personnes qui prennent part à la plainte et au processus d’enquête, ou comme l’exige la loi ou pour mettre en œuvre une pénalité.

N’y a-t-il pas une solution plus facile ?

Pas vraiment. Comme mentionné plus haut, il peut être difficile, surtout dans les petits et moyens bureaux, de gérer les plaintes pour harcèlement, surtout quand les plaintes concernent des associés principaux ou des avocats qui rapportent beaucoup.

Lorsqu’une enquête interne n’est pas pratique ou souhaitable, il existe une solution. Déléguez l’enquête à l’externe. Un certain nombre d’avocats en emploi et de professionnels des ressources humaines peuvent réaliser l’enquête pour vous. Engagez-les. Si vous optez pour cette solution, fournissez à l’enquêteur externe un exemplaire de votre politique et demandez-lui de suivre les étapes qui y sont indiquées. L’enquêteur vous fournira un rapport contenant ses conclusions, puis vous partirez de là. Le cas échéant, vous pouvez demander qu’une pénalité soit recommandée.

Si on conclut que du harcèlement s’est produit, assurez-vous que la peine convienne à l’infraction et traitez la situation de manière directe. Si vous hésitez sur la pénalité, demandez conseil. Ne jouez pas aux devinettes. Une erreur peut être coûteuse. Finalement, assurez-vous que le plaignant est satisfait de l’enquête et du résultat, et soyez attentif à une répétition du comportement.

Le meilleur conseil que je peux donner relativement au harcèlement est de gérer la question de manière proactive au sein de votre organisation. C’est la bonne chose à faire, mais cela peut aussi vous faire gagner beaucoup de temps et d’argent (en plus d’éviter des dommages potentiels à votre réputation). Si votre bureau ne s’occupe pas de cette question importante à l’interne, les victimes de harcèlement ont certains autres recours permettant de faire intervenir de tierces parties. Les victimes peuvent déposer une requête en droits de la personne, faire une plainte en vertu de la LSST et causer la conduite d’une enquête aux frais du bureau, déposer une requête pour congédiement déguisé auprès de la Cour supérieure ou faire une plainte au Barreau. Si votre bureau ne s’occupe pas du problème, quelqu’un d’autre le fera pour vous et il est probable que vous ne trouverez pas cela agréable. Gardez le contrôle sur la question et sur votre processus de résolution.

Le harcèlement est un problème sérieux, qui doit être traité comme tel, surtout par ceux d’entre nous qui ont la responsabilité de faire respecter la loi.

À propos de l’auteure

Andrea est partenaire au sein du groupe axé sur le travail et l’emploi de Fogler, Rubinoff. Dans sa pratique mettant principalement l’accent sur le droit du travail, Andrea représente les employeurs dans les poursuites pour congédiement injustifié et leur fournit des conseils sur toutes les facettes du droit de l’emploi. Elle offre aussi des conseils aux employeurs sur les normes du travail, les droits de la personne et les ressources humaines.


[1] Le Projet de loi 168 a reçu la sanction royale le 15 décembre 2009 et est entré en vigueur le 15 juin 2010.

[2] Le Projet de loi 132 a reçu la sanction royale le 8 mars 2016 et l’annexe 4, qui traite des modifications à la LSST, est entrée en vigueur le 8 septembre 2016.

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