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Liberté testamentaire et ordre public : un regard sur la discrimination dans les testaments

  • 30 septembre 2016
  • Helen Burgess

Il y a un principe fondamental en droit des successions voulant qu’ « une personne a le droit, à condition de respecter les obligations légales spécifiques qui lui incombent à l’égard de personnes à charge, de disposer de son patrimoine d’une manière absurde ou arbitraire, quelle que soit l’opinion des autres sur le caractère équitable ou raisonnable des dispositions[1] ». Un testateur doit pouvoir avoir une certaine garantie que ses volontés seront respectées. Par contre, indépendamment du risque de litige et des conséquences antithétiques qu’on imagine facilement, il existe des exceptions à ce principe général.

La doctrine relative à l’ordre public qui s’applique en droit des successions sert à prévenir les dispositions testamentaires lorsqu’il est manifeste que le préjudice infligé au public est [TRADUCTION] « foncièrement incontestable[2] ». Les tribunaux peuvent ainsi se fonder sur cette doctrine pour annuler des dispositions[3]. De toute évidence, ce qui est contraire à l’ordre public évolue avec le temps, et s’adapte aux mœurs et aux lois de la société[4]. Cependant, une conclusion d’annulation ne sera pas justifiée même si une condition s’avère incompatible avec les normes qui sont actuellement largement reconnues[5].

Pour décider si les tribunaux peuvent s’immiscer dans la liberté testamentaire pour des raisons d’ordre public, ces derniers devront se demander si la disposition viole la législation du territoire, la common law, les déclarations de principe officielles du gouvernement et la Constitution[6]. Si la disposition n’est pas illégale ni contraire aux règles de common law, alors les volontés du testateur peuvent bénéficier de la protection d’une forte présomption de validité.

Partant, dans l’affaire McCorkill c. Streed[7], la cour était appelée à décider si un testament, qui n’était pas de prime abord discriminatoire, pouvait être déclaré nul au motif que le legs serait utilisé à des fins discriminatoires. En l’espèce, le testateur a légué le reliquat de sa succession à la National Alliance (« NA »), un groupe néo-nazi qui prône le recours à la violence fondée sur la haine contre des groupes identifiables ciblés.

La sœur du testateur a contesté le transfert du reliquat de la succession à la NA en faisant valoir que le transfert contrevenait à l’ordre public et allait à l’encontre de la législation et des engagements du Canada. La cour a accueilli la demande et annulé le legs sur le fondement du mobile discriminatoire du légataire. La cour a conclu à la nullité du legs résiduel, car [TRADUCTION] « […] les objectifs de la National Alliance, de même que les activités et les communications qu’elle réalise dans le but de parvenir à ses objectifs, sont illégaux au Canada et contraires tant à l’ordre public qu’aux politiques générales du Canada et du Nouveau-Brunswick[8] ».

Alors, qu’en est-il lorsque le testament ne viole pas l’ordre public ainsi qu’il est précisé ci-dessus, mais que le racisme est allégué comme ayant motivé les dispositions du testateur? Dans Spence c. BMO Trust Company[9], la cour avait à décider si elle pouvait considérer une preuve extrinsèque pour conclure que des motifs raciaux se cachaient derrière les dispositions testamentaires lorsque le testament ne prévoyait aucune clause discriminatoire, et qu’en fait, une raison non équivoque visant l’exclusion de l’appelante y était prévue.

L’appelante, fille du testateur, sollicitait une demande d’annulation du testament de son père au motif que le testament contrevenait à l’ordre public, car il était motivé par le racisme. L’appelante a allégué qu’elle avait été exclue du testament de son père, parce qu’elle avait eu un enfant avec un Blanc, et que son père, un Noir, était raciste et n’acceptait pas son petit-fils.

Il est intéressant de noter qu’une clause du testament stipulait ceci : [TRADUCTION] « Je ne lègue expressément rien à ma fille… puisque depuis plusieurs années, elle ne m’a donné aucun signe de vie ni n’a manifesté aucun intérêt à mon égard comme père. » En l’espèce, le testament comporte une motivation non équivoque et non discriminatoire visant à exclure l’appelante du partage de la succession. Malgré cela, la Cour supérieure de justice a considéré que les allégations sur la motivation raciale du testateur supplantaient le motif exprimé directement dans son testament, et elle a conclu à la nullité du testament parce que celui-ci contrevenait à l’ordre public.

La Cour d’appel a renversé cette décision en se fondant sur le fait que la liberté testamentaire est un principe fondamental en droit des successions, ce principe fournit au testateur une certaine expectative que ses volontés seront respectées[10]. La Cour d’appel a conclu que [TRADUCTION] « [l]a liberté que le propriétaire d’un bien a de le disposer comme il l’entend est un intérêt social important qui est reconnu depuis longtemps dans notre société et qui est solidement enracinée dans notre droit[11] ». Fait important, la Cour a souligné qu’il ne s’agissait pas là d’un cas d’interprétation d’un testament qui l’obligeait à en interpréter le sens. Le langage utilisé était, en l’espèce, sans équivoque et sans ambiguïté; il n’imposait aucune condition contrevenant à l’ordre public[12].

Dans l’ensemble, la tendance dans la jurisprudence est claire; les tribunaux n’interviendront vraisemblablement pas dans la liberté testamentaire. Une préoccupation majeure liée à l’annulation de documents testamentaires pour des raisons d’ordre public tient au fait que les tribunaux ouvriraient la porte à des litiges successoraux. Les tribunaux demeurent conscients qu’une décision peut entraîner des réclamations frivoles de supposés bénéficiaires qui ne font qu’attendre impatiemment d’avoir une part du gâteau du testateur.

À propos de l’auteure

Helen Burgess, WEL Partners


[1] Thorsnes v. Ortigoza, 2003 MBQB 127 (CanLII), 174 Man. R. (2d) 274, au par. 14, cité dans Spence c. BMO Trust Company, 2016 ONCA 196 (CanLII) au par. 111.

[7] McCorkill c. Streed, précité.

[8] Ibid.

[9] 2016 ONCA 196 (CanLII).

[11] Idem au par. 30, citant Canada Trust Co. c. Ontario (Human Rights Commission) (1990), 1990 CanLII 6849 (C.A. Ont.), 74 O.R. (2d) 481, à la p. 495; citant Blathwayt & Lord Cawley, [1976] A.C. 397, [1975] 3 All E.R. 625 (H.L.).

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