Lady Justice with Greco-Roman pillars

Le rôle de l’avocat de la défense dans les causes d’agression sexuelle

  • 17 mars 2016
  • Jody Berkes

« Que dix coupables échappent à la justice, plutôt que souffre un seul innocent. »

– Sir William Blackstone (1765).

Récemment, des avocats de la défense ont été vertement critiqués pour avoir contre interrogé avec agressivité des plaignantes dans des causes d’agression sexuelle. Certains ont été jusqu’à suggérer qu’il n’est pas éthique pour un avocat de contre-interroger avec agressivité lorsqu’ils « savent » que leur client est coupable. Notre système de justice criminelle est basé sur des procédures contradictoires, la Couronne et la défense représentant l’État et l’accusé. Le Parlement a légiféré quant aux limites pour la défense dans les causes d’agression sexuelle. C’est la Couronne qui doit aviser le juge de tout manquement aux règles, et le juge a pour travail de faire appliquer ces règles. L’avocat de la défense a comme travail et comme obligation éthique de poser les questions difficiles et souvent désagréables qui assurent que le système ne condamne que ceux dont la culpabilité a été prouvée au-delà de tout doute raisonnable.

C’est la prémisse sur laquelle notre système est construit. Comme avocat de la défense, je dois défendre mon client du mieux que je le peux, en respectant les lois adoptées par le Parlement telles qu’interprétées par les tribunaux. De plus, les commentaires du Code de déontologie du Barreau du Haut-Canada sur l’article 5.1-1 énoncent que :

« Lors d’une procédure contradictoire, l’avocat a le devoir de soulever résolument tous les points, de faire valoir tous les arguments et de poser toutes les questions, si déplaisantes soient-elles, qu’il estime favorables à la cause de son client. Il doit aussi chercher à utiliser tous les recours et moyens de défense autorisés par la loi qui sont à l’avantage de son client. »

Mon mandat a comme motivation que si je fais de mon mieux pour défendre mon client et qu’un juge le trouve tout de même coupable, alors la chance qu’un innocent aille en prison est minimisée, même si cela demeure une possibilité.

Le Parlement a énoncé des règles qu’un avocat de la défense doit respecter dans un procès criminel. C’est la Couronne qui doit aviser le juge de tout manquement aux règles, et le juge doit trancher quant à ces avis. Une règle interdit la production de preuves de relations sexuelles consensuelles préalables entre un plaignant et un accusé[i]. Une autre règle limite la capacité de l’avocat de la défense d’accéder à tout dossier médical, psychiatrique, thérapeutique, psychologique ou autre dossier privé du plaignant, même lorsque la Couronne a des copies de tels documents, ce qui outrepasse donc le droit garanti par la Charte pour que l’accusé ait une divulgation de toutes les preuves que possède la Couronne[ii]. D’autres règles prévoient certains accommodements pour les témoignages, comme le témoignage par circuit fermé hors de la salle d’audience et/ou la présence d’une personne en soutien lors du témoignage[iii]. Le Parlement a adopté ces règles dans un effort visant à supprimer les stéréotypes et à rendre le processus judiciaire plus facile pour les témoins. Un dernier aspect du souhait parlementaire de supprimer les préjugés dans les causes d’agression sexuelle a été la suppression des règles exigeant de la corroboration et le dépôt d’une plainte le plus tôt possible. Le résultat de ces modifications est que pour déclarer quelqu’un coupable d’agression sexuelle, la Couronne n’a pas à présenter de preuve au-delà du témoignage du plaignant, qui suffit juridiquement pour prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable.

C’est peut-être une conséquence non voulue de ces changements : le témoignage de la personne plaignante est la seule preuve qui reste à sonder dans un tel cas. Il en résulte que témoigner dans le cadre d’un procès criminel est souvent difficile. Le juge est assis plus haut que le témoin (sauf lorsque le témoignage se fait par circuit fermé), les procédures sont solennelles, un témoin fait serment afin que sa conscience soit liée, et les avocats posent des questions difficiles auxquelles il faut répondre avec candeur et vérité. Témoigner en cour n’est pas comme raconter une histoire banale à un ami, un collègue ou même un inconnu. Dans ce cas, on peut utiliser un langage libre, grossir les faits, mentir, qu’il s’agisse d’un mensonge pieux ou pas. Dans la vie de tous les jours, on peut pardonner un certain manque de candeur ou de vérité. Dans la vie de tous les jours, la vérité dépend souvent du point de vue de la personne.

Dans un procès criminel, cependant, on ne doit trouver ni langage libre, ni exagération, ni mensonge. Les procès criminels ne sont pas uniquement une quête de vérité; ils concernent aussi une punition potentielle, qui comprend souvent une privation de liberté et un dossier criminel qui entraîne des conséquences à long terme. Avant que l’État punisse une personne, la prive de liberté ou l’assujettisse à un dossier criminel, il doit prouver sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.

Où trouve-t-on un doute raisonnable ? Le doute raisonnable se trouve dans les réponses aux questions difficiles, aux questions désagréables, aux questions que permet la loi et que les règles de déontologie exigent d’un avocat. C’est uniquement lorsque ces questions sont posées et qu’on y répond qu’un juge des faits peut déterminer si l’État s’est acquitté du fardeau de prouver la culpabilité au-delà du doute raisonnable.

A propos de l'auteur

Jody BerkesJody Berkes de Berkes Newton-Smith est président de la section de droit criminel de l’Association du Barreau de l’Ontario et un spécialiste certifié du droit criminel. Ses opinions n’impliquent que lui, sans refléter celles de l’ABO.

 


 

Goddess Statue in a Greco-Roman TempleLes procès pour agression sexuelle pourraient-ils moins nuire aux plaignantes ?

Maryellen Symons

Les procès pour agression sexuelle diffèrent des autres. Que peut-on faire, alors, pour que la poursuite pour agression sexuelle soit moins infernale pour les plaignantes sans nuire au droit de l’accusé à une défense selon les règles ?

 


[i] Article 276 du Code criminel.

[ii] Articles 278.1 et suivants du Code criminel.

[iii] Articles 486.1 et 486.2 du Code criminel.

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