[Dans cette nouvelle chronique de JUSTE., « Débats », deux avocats ont l’occasion de débattre d’une question juridique intéressante et provocante. Le premier sujet de débat en est un qui a soulevé bien des passions chez les juristes ces dernières années et a remis en question la perception fondamentale de la vocation d’avocat et du rôle de la profession : les grands bureaux sont-ils à l’agonie, ou là pour rester ?
Josh Kubicki répond non : le marché des grands bureaux continue d’être florissant, propulsé par la complexité croissante que les sociétés doivent gérer. Vous pouvez lire l’opinion inverse, sous la plume de Mitch Kowalski.]
Souvent, on parle de la fin des grands bureaux comme d’une idée vague ou d’une hyperbole pour vendre des billets pour des événements ou vendre des livres. Si l’idée, d’abord mentionnée par le regretté professeur Larry Ribstein en 2009, n’avait pas un objectif commercial, le concept général a été manipulé pour suggérer ou même prédire l’érosion et l’échec inévitables de tout le secteur des grands bureaux juridiques.
L’hypothèse d’origine était plutôt, et demeure, que les grands bureaux tels qu’ils existent aujourd’hui (ou existaient en 2009) sont mal adaptés à la nouvelle économie et qu’ils devront ultimement lutter pour reprendre la place qu’ils occupaient avant la grande récession.
Si bien des bureaux d’avocats et bien des firmes de services professionnels vivent une période difficile, le marché des grands bureaux demeure et prospère, propulsé par la complexité croissante que les grandes sociétés doivent gérer et par les grands bureaux qui se servent de leurs modèles d’affaires robustes et flexibles pour répondre aux besoins non satisfaits et évolutifs des clients d’entreprise. Nous sommes en effet à l’avant-plan d’un changement de grande envergure, mais celui-ci ne proviendra pas de robots ou d’autres gadgets technologiques qui remplaceront les avocats. Et e changement ne se produira pas rapidement.
Pour comprendre qu’il est faux de parler de la soi-disant « mort » des grands bureaux, il faut considérer le marché au sein duquel ces bureaux existent ainsi que les modèles d’affaires qui ont été conçus pour soutenir ce marché. Les grands bureaux d’avocats sont souvent appelés lents, stupides ou mal orientés. On en voit des exemples de temps à autre, mais la structure sous-jacente des bureaux d’avocats leur permet d’être lestes, agiles et proactifs.
Doivent-ils gérer le changement ? Bien sûr. Mais ils font de petites gageures, qui évoluent vers des gageures plus importantes, plus futées. Nombre de grands bureaux font de plus en plus de petites gageures ces temps-ci. Ils apprennent. Ils planifient. Et ils ne sont certainement pas à l’agonie.
Vous pouvez garder vos épitaphes. Voici pourquoi.
Le marché
Il est faux de croire qu’il existe un seul marché pour les grands bureaux. Il y a, en fait, des centaines de marchés et de segments. Les acheteurs de services juridiques au sein de ces marchés sont aussi diversifiés.
Prenez par exemple le marché du droit de l’emploi et du travail. Dans ce marché existent des segments de clients aux besoins et aux préférences différents. Les conseils sur le droit du travail, par exemple, ne sont pas offerts seulement aux avocats de l’entreprise, mais aussi aux professionnels des ressources humaines et aux PDG de plus petites entreprises. Les entreprises vont de petits détaillants à des fabricants internationaux, en passant par des marques de produits de consommation.
Chacun de ces segments achète différemment et pour différentes raisons. Ils ont aussi tout un éventail d’attentes quant à la façon de livrer les services juridiques. Cela signifie que le rôle de la technologie, des nouveaux fournisseurs, des fournisseurs alternatifs et des équipes internes varie grandement. Si certains grands bureaux peinent à répondre aux besoins et aux préférences uniques de ces divers segments, les firmes futées adaptent leurs façons de faire pour « jouer » dans chacun de ces segments de marché.
Ce n’est pas l’exemple le plus radical, mais de nombreux bureaux ont cessé de mettre l’accent sur un domaine de pratique pour se concentrer plutôt sur une industrie, ce qui démontre leur capacité de se rapprocher d’un groupe de clients de façon plus appuyée. Cela démontre leur approche axée sur le marché plutôt qu’une approche de produit/service. Cela veut dire que les bureaux reconnaissent qu’ils évoluent dans de nombreux marchés.
Le modèle d’affaires
Il est également faux de croire qu’il existe un seul modèle d’affaires pour les grands bureaux. Les évangélistes qui annoncent la mort des grands bureaux oublient la complexité de différents bureaux. On décrit trop souvent les modèles d’affaires comme étant traditionnels ou non traditionnels, ce qui manque de précision. Si on veut vraiment briller, on peut parler de la structure des associations suisses afin de discuter des modèles d’affaires.
Mais toutes ces discussions sont inutiles.
Le « modèle d’affaires » de tout bureau d’avocats est formé, en réalité, des modèles d’affaires individuels dans lesquels il opère pour régler les problèmes de différents segments de clientèles et/ou de l’industrie. Chaque bureau comporte différents groupes de pratique qui répondent aux besoins précis des clients, fournissent une valeur unique, ont différentes stratégies pour la clientèle, font différents usages de la technologie et des compétences, etc. Cet éventail de modèles d’affaires offre aux grands bureaux la flexibilité requise pour s’adapter aux conditions particulières de chaque marché.
Les bureaux futés adoptent une approche équilibrée pour gérer leurs modèles d’affaires, investissant selon les besoins, se détournant des domaines en déclin ou des domaines marginaux, testant de nouvelles approches et pivotant pour assurer leur croissance. Il est vrai que les associés directeurs ne l’expriment pas de cette façon. Il est aussi vrai qu’il existe trop de bureaux qui n’ont pas la direction et les notions requises pour voir le défi de cette manière. Mais de nombreux bureaux le font et continueront de le faire. Je travaille dans un tel bureau. Si les grands bureaux étaient à l’agonie, comme entrepreneur féru de technologie, je n’y serais pas.
[Vous pouvez lire l’opinion inverse, sous la plume de Mitch Kowalski.]
Apropos de l'auteur
Josh Kubicki, Seyfarth Shaw