A red smear of paint resembling blood

"Making A Murderer" Canada?

  • 17 février 2016
  • Sean A. Moreman

Il paraît que tout le monde parle de Steven Avery. Pourtant, peu de Canadiens savaient de qui il s’agissait avant la sortie du documentaire Making a Murderer sur Netflix à la mi-décembre. Le fournisseur de contenu en ligne a lancé les 10 épisodes de la série documentaire qui raconte les procès pour meurtre de Steven Avery et de son neveu Brendan Dassy après la découverte du corps d’une jeune femme près de la résidence d’Avery. Cette série connaît un immense succès. Il est impossible de ne pas en entendre parler sur les médias sociaux. Pas moyen de se rendre à la fontaine d’eau sans que des collègues discutent de cette histoire, sans oublier celui ou celle qui les supplie de ne pas révéler l’intrigue.

Pour ceux et celles qui ne l’ont pas regardé, la série porte littéralement sur les procès de Steven Avery, un homme qui a été injustement condamné en 1985 pour une agression sexuelle qu’il n’avait jamais commise. Après avoir passé 18 ans derrière les barreaux, Avery a été libéré, puis il a engagé une poursuite de 36 millions de dollars (en dollars américains) contre le comté et plusieurs personnes qu’il présumait responsables de son emprisonnement injuste.

En novembre 2015, les restes carbonisés de la jeune photographe, Theresa Halbach, ont été trouvés dans une soi-disant « fosse de brûlage » située derrière la roulotte d’Avery. La série aborde l’enquête de ce meurtre d’un angle convaincant et la responsabilité qu’on a presque qu’immédiatement fait porter à l’Avery. La série soulève également des questions quant à l’exactitude de l’issue définitive des procès des deux membres du clan d’Avery. Pour la plupart des gens, c’est sans doute la première fois qu’ils portent un regard sur les dessous du système de justice, et c’est ce qui fait, en partie, que c’est un documentaire palpitant. Est-ce que ce genre de programme aurait pu être réalisé en Ontario? La question se pose…

L'apparence de justice, c'est la justice rendue

En 2011, la juge Deschamps, ancienne juge à la Cour Suprême du Canada, a confirmé que l’accès du public aux tribunaux est essentiel à la sauvegarde du système de justice. Dans une affaire portant sur les restrictions imposées aux médias en ce qui concerne leur droit de diffusion des débats judiciaires au Québec, la juge écrit ceci :

L’accès du public aux tribunaux assure également l’intégrité des procédures judiciaires en ce que la transparence qu’il génère garantit que justice est rendue non pas de manière arbitraire, mais bien conformément à la primauté du droit.

Toutefois, la Cour a conclu que les règles de pratique du Québec qui interdissent la diffusion des enregistrements sonores et visuels des débats judiciaires ne portent pas atteinte à la Charte puisqu’elles veillent à la protection de la « sérénité des audiences ».

Par conséquent, les Ontariens et Ontariennes qui pensent que la version canadienne de Making a Murder est en salle de montage quelque part dans l’attente de son lancement devront attendre encore un peu, car l’article 136 de la Loi sur les tribunaux judiciaires interdit expressément tant les enregistrements sonores que les enregistrements visuels d’une audience. Bien que la Loi autorise théoriquement les enregistrements, la réalisation de ceux-ci nécessite l’autorisation du juge qui préside l’instance ainsi que le consentement des deux parties et des témoins.

Triste journée pour notre système de justice supposément transparent

Daniel Henry, ancien conseiller juridique principal à la Société Radio-Canada, conseille maintenant des clients sur des questions en matière de droit des médias. Il a reçu l’offre de réaliser une série documentaire similaire à celle de la populaire série de Netflix. Selon Me Henry, les dispositions relatives au consentement qui sont contenues dans la Loi sur les tribunaux judiciaires confèrent un droit de veto sur l’accès du public à la vie privée de particuliers. Il a aussi déclaré ceci : « L’intérêt du public doit prendre de la distance par rapport l’intérêt privé, sans égard à l’importance de l’intérêt public. »

« Le parfait exemple de l’endroit où les caméras auraient dû être permises, a fait remarquer Me Henry, c’est dans la salle d’audience du récent procès du sénateur Mike Duffy. » Me Henry souligne également que « puisque l’accusé et la plupart des témoins étaient des figures publiques et que les questions étaient à la fois d’intérêt public et d’intérêt politique, c’était, faute de caméras, une occasion manquée de diffuser un réel aperçu des dessous d’un processus judiciaire ». Il ajoute que « ce jour-là c’était une bien triste journée pour notre appareil judiciaire supposément transparent, lorsque le but est de transmettre les renseignements au public, de la manière dont le public les recevrait normalement, ce qui comprend aujourd’hui des moyens audiovisuels ».

« […] confiance […] du public dans le système de justice, c’est précisément [ce] dont il s’agit ».

Me Henry a visionné les 10 épisodes de la série documentaire Making a Murderer. Selon lui, c’est une œuvre qui suscite une « importante » controverse. Me Henry fait observer au grand nombre de détracteurs qui disent que la série a mis de côté des renseignements essentiels, que l’importance dans tout ça, c’est que beaucoup de gens discutent actuellement de justice. Il convient que « [le programme] aurait été meilleur s’il avait renfermé plus de renseignements, mais, précise-t-il, sans vidéo, par contre, on ne serait pas en train de parler de cette affaire, et les débats publics et la confiance éventuelle du public dans le système de justice, c’est précisément de justice transparente dont il s’agit ».

Tandis que le Canada diffuse à sa manière sa propre programmation de vrais crimes, il semble manquer cette étincelle pour animer l’engagement du public, à savoir la possibilité d’observer directement la preuve et d’entendre les témoins. Pour avoir un aperçu des dessous du système de justice de la province, les résidents et résidentes de l’Ontario devront se contenter de regarder de vieux épisodes de Street Legal – si c’est possible de télécharger cette série sur Netflix.


A propos de l'auteur

Sean A. Moreman, conseiller juridique principal, Canadian Broadcasting Corporation.

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