Quel était le montant de vos droits de scolarité lorsque vous fréquentiez la faculté de droit?
Auriez-vous quand même fait vos études en droit si le montant de vos droits de scolarité avait été le double, voire le triple, de la somme que vous avez payée? De façon réaliste, auriez-vous eu les moyens de les payer? Est-ce que ce montant aurait eu une incidence sur votre choix de carrière?
Il est probable que vous ayez payé seulement une petite fraction des droits de scolarité actuellement exigés aux étudiants en droit. Aujourd’hui, les études en droit dans les facultés de l’Ontario coûtent annuellement entre environ 16 000 $ à l’Université Lakehead, à Thunder Bay, et plus de 33 000 $ à l’Université de Toronto.
Nombreux sont ceux qui craignent que la hausse constante des droits de scolarité force nombre de diplômés à chercher des postes mieux rémunérés plutôt qu’à suivre le plan de carrière qu’ils avaient élaboré. Cette augmentation peut, par conséquent, entraîner une réduction du nombre de diplômés souhaitant occuper des postes en droit axé sur l’intérêt public.
Cependant, bien que le nombre de demandes d’admission en droit aux facultés de l’Ontario soit en baisse depuis cinq ans, les universités continuent d’accepter beaucoup plus de candidats qu’il n’y a de places disponibles. Est-ce que la hausse des droits de scolarité a une telle incidence? Est-ce qu’on peut dire que la formation juridique d’un diplômé d’une faculté plus prestigieuse offrant des programmes modernes et de meilleures occasions en vaut néanmoins le coût?
Les points de vue exprimés sur ce sujet ont fait couler beaucoup d’encre tant d’un bord que de l’autre.
Pour cet article, j’ai interviewé quatre étudiants de facultés ontariennes différentes pour prendre le pouls de leurs histoires personnelles. Il était nécessaire dans certains cas de changer des noms et des renseignements afin de protéger l’anonymat des personnes interviewées. Tous ont exprimé les mêmes préoccupations.
Tia
Tia est récemment diplômée de la faculté de droit de l’Université de Toronto et elle est maintenant endettée de plus de 100 000 $. Depuis son entrée à la faculté de droit, Tia s’intéresse particulièrement aux domaines du droit international humanitaire et du droit des réfugiés – l’expérience de ses parents en tant que réfugiés fuyant un pays déchiré par la guerre a contribué à orienter ses intérêts. Elle avait l’intention d’utiliser son diplôme en droit pour pratiquer dans ces domaines d’expertise, et, durant ses études, elle a participé en tant que bénévole à divers projets et cliniques d’intérêt public.
Pourtant, à la fin de sa première année, elle a fait face à l’ampleur de sa dette et sentait de plus en plus la pression de Bay Street. Elle a finalement choisi de participer au processus entrevue réalisé sur le campus, et elle a fini par travailler, d’abord comme étudiante puis comme stagiaire, dans un cabinet d’avocats du centre-ville. Concernant sa dette, Tia a explique [TRADUCTION] « suffit de l’accepter », et de réaliser qu’il faut faire des choix difficiles. Si ses droits de scolarité n’avaient pas été aussi élevés ou qu’elle avait eu un meilleur soutien financier, elle a l’impression qu’elle aurait plutôt choisi d’explorer le plan de carrière axé sur l’intérêt public qu’elle avait élaboré avant d’entrer à la faculté de droit.
Selon Tia, les facultés de droit tendent à diriger les étudiants pour qu’ils pratiquent dans le domaine du droit des sociétés. L’argent à faire sur Bay Street attire les étudiants dès les premières étapes du recrutement, il est alors impossible d’ignorer cette réalité au fur et à mesure que l’on voit nos marges de crédit augmenter. Et bien qu’il existe de l’aide financière offerte aux étudiants qui occupent des postes moins bien rémunérés après leurs études, le processus demeure imprécis et imprévisible. Il reste beaucoup à faire pour aider les étudiants à comprendre la viabilité financière d’entreprendre une carrière axée sur l’intérêt public.
En fin de compte, Tia a décidé de suivre sa passion pour le droit axé sur l’intérêt public après son stage, tout en ayant à supporter le poids de sa dette d’études.
« Michelle »
Michelle étudie à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa où les droits de scolarité s’élèvent à environ 16 000 $ par année, auxquels il faut ajouter ses frais de subsistance. Après ses études, elle prévoit d’être endettée de plus de 20 000 $, et s’estime, malgré tout, chanceuse, bien qu’elle ait déjà dû puiser dans ses économies et dans ses REER.
Elle a été capable d’entrer à la faculté de droit, en tant qu’étudiante adulte, après une première carrière, et jouissait alors d’une plus grande stabilité financière que celle de certains de ses collègues de classe plus jeunes. Michelle fait remarquer que les étudiants en droit sont particulièrement préoccupés par leur endettement et leur besoin de sécuriser un poste de stagiaire. Ses pairs éprouvent une peur et une anxiété de ne pas avoir un emploi prévu après leurs études en droit et d’avoir à supporter une lourde charge financière.
Elle souhaite faire carrière en droit public ou en droit criminel, et elle a eu le privilège de travailler l’été dernier au sein d’un cabinet d’avocats spécialisé en droit criminel. Elle espère faire son stage au gouvernement. Elle pense pouvoir faire ce choix, malgré sa dette importante, en grande partie parce qu’elle avait des économies avant d’entrer à la faculté de droit. Ce n’est pas tout le monde qui a un tel avantage.
Leslie
Leslie, 32 ans, a récemment terminé sa deuxième année à la faculté de droit de l’Université Lakehead, où ses droits de scolarité s’élèvent à environ 17 000 $ par année, auxquels il faut ajouter les frais pour ses livres, ses frais de subsistance et les frais pour ses autres engagements. Elle prévoit de terminer ses études avec une dette d’études d’environ 30 000 $ à 40 000 $.
Cet été, elle travaille dans une clinique juridique, à Thunder Bay, dont le mandat consiste à aider les gens dans plusieurs domaines qui se rapportent à la justice sociale. Pour son stage, elle a remarqué que l’Université Lakehead offre un programme de pratique intégrée unique au Canada, où l’étudiant doit réussir à la fois le programme académique et les habiletés pour le stage. Dans le cadre du programme, elle fera son stage au bureau du procureur général de la région. Elle espère obtenir un poste dans le domaine de la justice sociale ou du droit public.
Elle reconnaît que l’endettement des étudiants a une incidence sur leurs choix. Cette réalité les préoccupe grandement. Elle a travaillé pendant cinq ans avant d’entrer à la faculté de droit, et elle a abandonné une carrière pour faire un retour aux études. Ce qui lui a laissé du temps pour se préparer à faire face à l’engagement financier que comportait ce retour sur les bancs d’école, et elle était donc plus motivée à faire les sacrifices nécessaires pour exercer dans les domaines du droit qui la passionnent. Toutefois, alors qu’elle se prépare à entreprendre la prochaine étape de sa vie – et espère se marier et fonder une famille –, les pressions financières sont omniprésentes et immenses.
« Je suis chanceuse, m’a-t-elle dit, parce que je prends des décisions avec mon partenaire maintenant, et nous pouvons élaborer une planification financière d’une manière que les plus jeunes étudiants ne peuvent pas. » Au cours de ses études pour l’obtention de ses deux premiers diplômes, elle a été capable de travailler et de gagner suffisamment d’argent pour terminer ses études sans dette. Tel ne sera pas le cas lorsqu’elle terminera ses études en droit.
On a beau être bien préparé pour faire face aux coûts inhérents aux études, il n’en demeure pas moins que le stress et l’anxiété associés à la pression financière sont toujours là. Ses pairs partagent la même préoccupation, et cette pression semble augmenter année après année.
Tous les candidats qui font une demande d’inscription à la faculté de droit doivent composer avec la réalité des droits de scolarité, selon Leslie. Les droits de scolarité ont été un facteur important avant qu’elle ne décide de s’inscrire à l’Université Lakehead. En effet, malgré son attirance pour le mandat unique de l’école et le fait qu’elle soit originaire du nord de l’Ontario, elle a dû tout de même soupeser le poids financier des droits de scolarité.
Anthony
Bien sûr que les droits de scolarité et la dette étudiante affectent les étudiants », a déclaré Anthony qui termine sa première année à la faculté de droit de l’Université de Windsor.
Cette année, il a payé environ 19 000 $ pour ses droits de scolarité et ceux-ci devraient augmenter d’au moins 2 % par année pour les deux prochaines années. Il est entré à la faculté de droit tout de suite après son diplôme de premier cycle, et il prévoit d’avoir une dette étudiante de plus de 90 000 $ après ses études.
Les mots me manquent pour décrire les pressions exercées sur les étudiants à mesure que leur endettement approche les six chiffres et qu’ils commencent à saisir le poids de cet engagement financier.
Anthony a déjà fait un stage en Inde; il aimerait retourner dans un pays en développement pour y mettre à profit son diplôme en droit et utiliser ses connaissances acquises en droit comme vecteur de changement positif. Ce plan ne pourra toutefois pas se réaliser tant qu’il n’aura pas remboursé ses dettes.
Il se demande si une fois qu’il aura le contrôle sur ses dettes, il visera de nouveaux objectifs (mariage, famille, etc.) et il sera peut-être passé à côté de l’occasion de faire ce type de travail.
La plupart des étudiants de sa classe sont paralysés par cette préoccupation. Lors du processus d’entrevue réalisé sur le campus, beaucoup d’étudiants sont davantage préoccupés par la rémunération d’un poste que par l’endroit où ils travailleront ou bien le domaine de pratique dans lequel ils exerceront. À moins d’être assurés d’un poste bien rémunéré, les étudiants ne voient aucune façon de progresser financièrement.
Anthony me dit que la faculté de droit de l’Université de Windsor se démarque des autres écoles avec son programme axé sur la justice sociale. Mais, malgré cette concentration, bon nombre d’étudiants qui souhaitent faire carrière en droit public, ou qui envisagent de travailler au sein d’un cabinet spécialisé de petite taille, abandonnent tout simplement cette idée une fois qu’on leur présente l’attrait des postes sur Bay Street.
Qu’est-ce que je pourrais bien faire pour réduire ma dette? Voilà la question que tous les étudiants se posent. Une fois emportés par le tourbillon du rythme de vie de Bay Street, ces futurs avocats seront-ils réellement capables de renoncer à tout ça?
A propos de l'autor
Brock Jones est procureur de la couronne depuis plus de dix ans, sa pratique étant axée sur le droit criminel, les jeunes contrevenants et le droit constitutionnel. Il est professeur adjoint à la faculté de droit de l’Université de Toronto.
Brock est membre du comité éditorial de JUSTE.