En ce qui concerne l'accès à justice, le Canada est loin d'être un modèle.
En ce qui concerne l’accès à la justice, le Canada est loin d’être un modèle : dans l’indice de la primauté du droit 2014 du World Justice Project, le Canada s’est classé derrière 12 autres pays à revenu élevé. Au sommet se trouvent la Norvège, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Danemark. Ces quatre pays de droit civil ont obtenu les meilleures notes pour l’accès à la justice parce que leurs systèmes de justice sont plus efficaces, accessibles et abordables. Les pays dotés de systèmes de common law comme celui du Canada, c’est-à-dire les États-Unis et le Royaume-Uni, ont obtenu des notes équivalentes ou plus faibles dans l’indice.
Pourquoi cette mauvaise note ? Trois catégories ont systématiquement tiré le Canada vers le bas : le caractère abordable, l’absence de discrimination et la rapidité. La tendance est si marquée qu’elle a suscité des commentaires de juges de la Cour suprême et d’universitaires. Quelles sont nos erreurs ? Surtout, quelles leçons pouvons-nous tirer des pays qui connaissent du succès ?
Incitatifs pour les règlements; incitatifs pour l’amélioration du rendement
Ici, en Ontario, nous savons de quoi a l’air une 13e place pour l’accès à la justice civile. La proportion de parties non représentées par avocat dans les affaires de droit de la famille s’élevait à 64 % en 2011/2012.
Cela a créé un défi de taille pour notre système juridique, car les parties non représentées coûtent cher en étirant les délais et en utilisant des ressources judiciaires déjà rares. Cette augmentation des parties non représentées a fini par provoquer d’importants changements : la création de tribunaux spécialisés en droit de la famille en Ontario, l’expansion de Law Help Ontario pour offrir de l’information juridique par téléphone et en ligne, et le lancement de TAG (le Groupe d’action sur l’accès à la justice).
La plupart des initiatives pour l’accès à la justice en Ontario semblent mettre l’accent sur l’amélioration de l’offre d’information juridique aux parties des litiges civils. Bien qu’une offre accrue de renseignements puisse être utile, des différences plus marquées distinguent les meneurs mondiaux du Canada.
L’Allemagne, par exemple, semble avoir formulé le problème selon une seule variable : les frais. Lorsque les services d’avocats sont trop coûteux, seuls les riches peuvent s’offrir des services juridiques. La solution de l’Allemagne a été de mettre en œuvre un barème d’honoraires exhaustif pour les avocats. Bien que le barème ne soit pas obligatoire, les autres ententes de facturation doivent faire l’objet d’une approbation distincte. Les factures envoyées aux clients doivent indiquer les heures travaillées et expliquer comment sont calculés les frais.
Les frais de base pour la représentation en Allemagne représentent environ 10 % de la valeur en litige. Le type de droit et le niveau de difficulté sont ensuite pris en compte comme coefficients qui augmentent ou réduisent le barème standard. Les règlements extrajudiciaires sont récompensés par un coefficient de 1,5. Les actions qui échouent sont aussi punies par un système de « perdant qui paie tout » comme au Canada. Les coûts relativement bas des frais civils en Allemagne favorisent la résolution rapide des différends, ce qui en fait l’un des systèmes de justice civile les plus efficaces au monde.
Les honoraires bas des avocats allemands favorisent naturellement une forte demande pour les services des tribunaux. Les frais judiciaires peuvent donc être bien plus élevés qu’au Canada, car ils sont fixés selon un pourcentage de la réclamation du demandeur. Le système allemand soulève des questions intéressantes sur l’accès à la justice. Il place les incitatifs au bon endroit : les avocats sont récompensés s’ils traitent de grands volumes de litiges rapidement à faible coût. Avec peu d’ententes de facturation horaire, les avocats (comme leurs clients) ont peu de patience pour les retards.
Si des incitatifs inspirés du modèle allemand étaient utilisés, toutes les parties à des litiges en Ontario profiteraient du même accès à la justice dont bénéficient actuellement les parties aux litiges relatifs aux lésions corporelles. Un meilleur accès aux tribunaux comporte toutefois un prix élevé. Comme en Allemagne, la demande additionnelle pour les salles d’audience, les juges et la technologie en Ontario devrait vraisemblablement être compensée par des frais judiciaires ou des impôts plus élevés. Cette question a mené d’autres innovateurs civils européens à envisager de manière différente la façon dont peuvent et doivent être résolus les différends.
L’accès à la justice civile à l’extérieur de la salle d’audience
Les Néerlandais ont réagi au problème de l’accès à la justice en se tournant vers l’Internet. Le faible coût et l’accessibilité de l’Internet le rendent idéal pour les différends de faible valeur. Le laboratoire d’idées néerlandais à but non lucratif HiiL a donc développé deux plateformes en ligne pour la résolution des différends : Burenrechter pour les disputes de voisinage, et Rechtwijzer (« jalons vers la justice » en néerlandais) pour les disputes familiales, les différends entre propriétaires et locataires ou les disputes reliées à l’emploi.
Les plateformes sont plus que des salles d’audience en ligne : elles formulent les conflits différemment. L’accent est placé sur les intérêts, le partage d’information et la planification conjointe. La plateforme familiale Rechtwijzer, par exemple, demande d’abord à chaque partie d’écrire dans ses propres mots ce dont elle croit que ses enfants auront besoin en grandissant et l’endroit où elle croit que les enfants devraient d’abord vivre. Les intérêts de chaque partie sont partagés et affichés sur le portail en ligne pour cerner les chevauchements et les conflits.
Cette plateforme est exhaustive : elle guide les parties à travers le litige, de son dépôt à sa résolution. Les clauses des ententes de séparation sont rédigées conjointement, et des boutons permettent aux parties d’accepter ou d’envoyer en médiation chaque clause jusqu’à ce que toutes deux appuient sur « décider ». La médiation en ligne est offerte pour régler les impasses, et toutes les ententes sont révisées par une tierce partie neutre avant leur ratification.
Les deux projets néerlandais ont été mis en œuvre récemment. Les données sur leur usage et leur efficacité sont donc à venir. La théorie, toutefois, a déjà été prouvée par eBay et PayPal. Leurs plateformes de résolution de conflits en ligne ont déjà réglé plus de 400 millions de désaccords entre les acheteurs et les vendeurs. Le règlement des litiges en ligne est rapide, abordable et assez juste pour les différends reliés à la consommation. Avec quelques modifications, on peut imaginer que le processus de Rechtwijzer pourra faire de même pour les litiges civils.
Les Ontariens pourraient bientôt ne plus avoir à voyager à l’étranger pour voir Rechtwijzer en action. La Legal Services Society (« LSS ») de la Colombie-Britannique a adopté la technologie, qu’elle a rebaptisée « MyLawBC ». Son lancement est prévu à l’automne 2015. Selon le site Web, la LSS entend intégrer à la plateforme son assistance téléphonique et en ligne. Une fois ces services combinés, il est peu probable que les gens visitent les cliniques en personne pour des différends civils simples. Les budgets provinciaux pour l’aide juridique et les consommateurs y gagnent. Et les avocats, eux ?
La réponse du secteur privé
Les Européens sont les meneurs pour l’accès à la justice civile et les innovations profitant de financement public, mais pour l’innovation entrepreneuriale rapide, nos voisins américains sont un modèle pour le Canada. Le site Web AngelList, par exemple, énumère plus de 380 entreprises en démarrage reliées au domaine juridique. Seules 11 entreprises canadiennes y figurent.
Tout besoin de consommation auquel rien ne répond constitue une occasion de démarrage d’entreprise. Cela fait de la crise de l’accès à la justice une corne d’abondance pour les gens qui souhaitent envisager le droit différemment. Parmi les entreprises juridiques énumérées sur AngelList, les domaines les plus fréquemment explorés par le secteur privé sont : a) rendre plus facile de trouver un avocat, b) réduire les frais d’avocats ou c) présenter l’information juridique de façon plus claire et utile que ne le peuvent la jurisprudence ou les lois.
Les services pour trouver un avocat et une technologie plus efficace pour l’exercice du droit peuvent faire gagner temps et argent aux consommateurs, mais il est peu probable qu’ils puissent rendre les services juridiques abordables pour tous. Si le problème reposait sur les frais indirects, les avocats exerçant à partir de leur domicile répondraient à la demande du public pour des coûts moins élevés. Le vrai problème concerne le fait que c’est l’avocat qui forme la partie coûteuse du service juridique, et non son cabinet. Cela a mené à la troisième catégorie d’entreprises juridiques en démarrage : les services qui réduisent ou remplacent le besoin d’avoir recours à un avocat.
Voici quelques exemples des États-Unis et de chez nous :
- Modria, « le moteur de l’équité pour l’Internet ». Modria a conçu la technologie de résolution des différends en ligne qu’eBay et PayPal ont utilisée pour régler 400 millions de différends relatifs à la consommation. Aucun médiateur ni avocat n’est requis.
- Rocket Lawyer, « Formulaires juridiques sans avocat ». Rocket Lawyer (comme sa rivale, Legal Zoom) a créé des bases de données massives de documents juridiques en ligne afin d’aider les gens ordinaires à créer des contrats, à incorporer des sociétés et à envoyer de la correspondance juridique. Certains sont très sophistiqués.
- ROSS Intelligence, « Votre tout nouvel avocat super intelligent ». Un groupe d’étudiants de l’Université de Toronto enseignent à Watson d’IBM comment effectuer de la recherche juridique. Les questions en langage ordinaire obtiennent des réponses juridiques claires, comme si vous discutiez avec un avocat. ROSS est présentement offert comme outil de recherche pour les cabinets d’avocats. On peut imaginer qu’un jour, les clients pourront poser des questions juridiques à ROSS sans d’abord parler à un avocat.
L’une des entreprises en démarrage qu’on trouve sur AngelList pourrait-elle seule offrir l’accès à la justice en Ontario ? C’est peu probable. Le marché privé n’est qu’une partie de la solution. Il démontre toutefois que les avocats sont en train de devenir de moins en moins pertinents à la conversation.
À l’étranger, la technologie comble rapidement l’écart entre les honoraires des avocats et ce que les clients peuvent payer. La discussion parmi les meneurs mondiaux de l’accès à la justice civile ne porte pas sur les avocats, mais bien sur les clients. De quoi les gens ont-ils besoin ? Qu’ont-ils les moyens de payer ? Que pouvons-nous faire pour régler la situation ? Pour devenir un modèle, l’Ontario doit commencer par là.
A propos de l'auteur
Ivan Mitchell Merrow est étudiant en droit et travaille chez Devry Smith Frank LLP à Toronto. IvanMerrow.com, @CanadianLawGuy