Cet article offre à la fois l’expérience personnelle récente de Stephanie De Caria, qui a dû travailler avec un avocat adverse difficile, et le point de vue de Justin Jakubiak, membre plus expérimenté du Barreau et ce, sur la question très répandue de l’intimidation entre avocats. Stephanie est une avocate adjointe en litige qui est à sa première année de pratique chez Fogler, Rubinoff SRL. Justin est un associé au sein du même cabinet et s’occupe des litiges civils et administratifs.
Contrairement aux stéréotypes classiques véhiculés par la culture populaire, la plupart des avocats ne sont pas des snobs trop compétitifs, obsédés par le pouvoir et cherchant à gagner sans égard aux conséquences. En réalité, de nombreux avocats sont des humains gentils et normaux, qui aiment ce qu’ils font et le font avec compétence et grâce, tout en menant une vie plutôt équilibrée. Cela dit, il y a des intimidateurs parmi nos rangs. Certains avocats le sont à temps plein; d’autres le deviennent sous la pression de la profession et de la vie (qui, soyons francs, peut surprendre même les meilleurs d’entre nous).
L’expérience de Stephanie :
Plusieurs d’entre nous sont familiers avec les intimidateurs. On en trouve dans les cours d’école, les quartiers, les écoles secondaires et même les milieux de travail. Qu’en est-il de l’avocat adverse qui se fait intimidant ?
Je pratiquais le droit depuis à peine une semaine quand j’ai rencontré mon premier avocat intimidateur. Ça s’est passé lors de ma première motion contestée, contre un associé principal d’un grand bureau de Bay Street. Tous mes documents étaient prêts et je les connaissais sur le bout de mes doigts. Malgré cela, j’étais très appréhensive à l’idée de plaider contre un avocat qui pratiquait le droit depuis avant avant même ma naissance.
Quand je suis entrée dans la salle d’audience, j’ai immédiatement reconnu l’avocat adverse (évidemment je l’avais cherché sur Google, ainsi que tout son bureau) et je suis allée lui dire bonjour. Il n’a pas levé la tête, a continué à remplir la liste des avocats et a marmonné quelque chose qui ressemblait à un genre de salutation. Il a fini avec la liste, l’a glissée vers moi et s’est en allé.
Comme la liste des motions était longue, nous avions une heure pour discuter d’un règlement de la motion. Nous avons quitté la salle d’audience ensemble et l’avocat presque mis immédiatement à crier contre moi avec agressivité (ce qui m’a surprise, car nos conversations téléphoniques avaient jusqu’alors été cordiales). Il m’a crié toutes sortes de choses, certaines relatives à la motion et d’autres non. Son ton et son volume étaient tels que des gens assis à l’extérieur de la salle d’audience nous regardaient sans cesse pour voir ce qui se passait. Lorsque j’ai tenté de discuter de la position de mon client, cet avocat intimidateur est devenu de plus en plus irascible, récalcitrant et méprisant.
J’ai fini par en avoir assez. Je lui ai dit que s’il entendait m’intimider, je ne lui parlerais plus. Il s’est éloigné. Il est revenu peu après, un peu moins hostile, mais pas plus calme. J’ai fait de mon mieux pour répondre à ses invectives sur le même ton et j’ai tenté de diffuser la situation. Nous avons fini par collaborer suffisamment pour résoudre la motion.
Étrangement, lorsque nous avons quitté le tribunal, l’avocat intimidateur s’est montré étonnamment agréable. C’était comme si notre interaction houleuse n’avait jamais eu lieu et que nous étions de vieux amis. Selon mon expérience, me montrer déterminée tout en restant respectueuse a été une façon efficace de traiter avec un avocat adverse difficile.
L’avis de Justin
Malheureusement, l’expérience de Stephanie n’est pas unique. J’avais 24 ans lorsque je suis devenu membre du Barreau, rempli d’un enthousiasme et d’une confiance qui n’avaient pas été érodés par l’expérience ni par ma compréhension du fait que j’en savais très peu sur l’exercice du droit. Je deviens encore nerveux quand je repense à un interrogatoire préalable au cours duquel l’avocat principal a profité de chaque occasion possible pour me dire depuis combien de temps il exerçait la profession, à quel point j’en savais peu et combien les conseils que je donnais à mon client étaient mauvais.
Au cours des prochaines années, Stephanie rencontrera différents types d’avocats intimidateurs. Chacun tentera d’utiliser ses cheveux gris (ou le nom de son bureau, ou sa réputation personnelle) et le peu d’expérience de son adversaire pour gagner un avantage pour son client. Les tactiques d’intimidation ne sont qu’un outil parmi tous ceux qu’utilisent les avocats expérimentés contre ceux qui le sont moins. Il faut savoir comment répondre, quand ne pas répliquer ou ne pas mordre à leur l’hameçon, et quand prendre une pause.
Voici quelques conseils pour vivre avec l’intimidation et le manque de civisme en général :
- Procédez avec prudence. Si l’avocat adverse lève la voix, baissez la vôtre. Si vous sentez votre colère monter, prenez une pause. Si vous recevez une lettre injurieuse de l’avocat adverse, rédigez votre réponse, mais ne l’envoyez pas avant d’avoir pris le temps de vous calmer et de peser le ton de votre message. J’ai pour règle d’attendre au moins au lendemain pour les lettres particulièrement mesquines des avocats adverses. Je rédige également chaque élément de correspondance en gardant à l’esprit qu’il peut finir entre les mains d’un juge ou d’un arbitre plus tard.
- Restez concentré. Souvenez-vous que votre travail est de représenter les intérêts de votre client. Si vous laissez le comportement impoli de l’avocat adverse vous démoraliser, il aura atteint son but et il est probable que la représentation de votre client en ait souffert. Ne laissez pas les tactiques abusives vous empêcher de préparer et de défendre votre cause. Il est courant pour les avocats d'ignorer leurs dossiers difficiles ou ceux auxquels prennent part des avocats adverses difficiles. C’est un piège terrible, car cela peut mener à des conséquences indésirables, jusqu’à une poursuite contre vous pour négligence.
- Tenez bon. Même si vous vous sentez attaqué et vulnérable, refusez d’être intimidé. Faites face à l’avocat et faites-lui remarquer son comportement déplacé. Il peut être utile de faire un commentaire versé au dossier durant une enquête préalable relativement à un avocat qui lève les yeux au ciel ou adopte une attitude agressive.
- Demandez de l’aide. Obtenir l’aide de vos collègues est un outil précieux et auquel on a pourtant trop peu recours. Tout le monde peut bénéficier de l’expérience des autres avec les avocats intimidateurs. Il peut aussi être utile de demander à quelqu’un son avis indépendant sur la situation afin de vous aider à déterminer si vous êtes vraiment devant un comportement déraisonnable, ou afins de vous assurer que vous ne répondez pas par un comportement impoli similaire.
En conclusion, je suggère que les jeunes avocats ne prennent pas personnellement le comportement de l’avocat adverse. C’est probablement le plus difficile pour tous, qu’ils soient débutants ou expérimentés. Le comportement non professionnel de l’avocat adverse n’est pas un reflet de vous-même en tant qu’avocat. L’avocat vous traite mal simplement parce qu’il croit en avoir le droit ce ca, à cause de son âge, de son ancienneté ou de son expérience, et d’autant plus s’il croit pouvoir s’en tirer à bon compte. Si ce n’est pas vous qui subissez ces comportements, ce sera le prochain avocat débutant qu’il rencontrera au tribunal ou avec lequel il traitera au téléphone ou à la table de négociation. Ne vous attardez pas à cette expérience : tirez-en des leçons et passez à autre chose.
Enfin, sachez que vous commettrez des erreurs. Dans un moment de rage, vous répondrez probablement avec un courriel mesquin ou direz quelque chose que vous regretterez ensuite. Ce n’est pas grave. Les erreurs ne comptent pas autant que notre manière d’y réagir. De brèves excuses contribueront à établir votre réputation en tant qu’excellent opposant.