DIVERSITÉ JUDICIAIRE SUR LE BANC

  • 03 décembre 2015
  • Mark Berlin, Paul Jonathan Saguil et Anna Wong

Sentez-vous que vous faites partie du système judiciaire canadien?

Pour bon nombre de personnes dans notre société et notre profession de plus en plus diversifiées, la réponse est négative.

Il y a une lacune criante de diversité parmi nos juges. Selon une étude faite en 2012 par le Diversity Institute de l'Université Ryerson, seulement 2,3 pour cent des juges nommés par le gouvernement fédéral (c.-à-d., siégeant aux cours supérieures et aux cours d'appel provinciales) sont des personnes de couleur. Une étude semblable effectuée par The Globe and Maila révélé que seules quelques nominations judiciaires  faites par le gouvernement fédéral depuis 2009 provenaient de communautés en mal d'équité. Aucune minorité visible n'est représentée à la Cour suprême du Canada. Bien que la situation de l'Ontario soit légèrement meilleure, 10,9 pour cent des personnes nommées par le gouvernement provincial provenant de minorités visibles, ce chiffre est toutefois déphasé avec la diversité d'une province dans laquelle les membres des minorités visibles représentaient 22,8 pour cent de la population en 2006.

Les nominations judiciaires fédérales sont faites par le gouverneur en conseil. Les avocats qualifiés et les personnes qui détiennent une charge judiciaire provinciale ou territoriale et qui souhaitent que leur candidature soit prise en considération pour un poste de juge au sein d'une cour supérieure provinciale ou territoriale, de la Cour d'appel fédérale, de la Cour fédérale du Canada ou de la Cour canadienne de l'impôt doivent postuler auprès du Commissaire à la magistrature fédérale. Un examen de fond des candidatures est effectué par les comités consultatifs judiciaires provinciaux et territoriaux, auxquels siègent des représentants du banc, du barreau, des associations policières et du grand public. Des consultations approfondies au sein de la communauté juridique et non juridique sont menées par les comités, qui évaluent les candidatures sur la base de deux catégories : « recommandé » en vue d'une nomination ou « ne peut pas recommander ». Les comités sont « encouragés » à respecter la diversité et à tenir compte de toute l'expérience juridique, y compris celle acquise à l'extérieur d'une pratique du droit traditionnelle. Un candidat « recommandé » reste sur la liste des personnes disponibles pour une nomination judiciaire pendant 2 ans.

À l'opposé, toutes les nominations à la Cour de justice de l'Ontario sont tirées d'une liste restreintes de candidats classés recommandés par le Comité consultatif sur les nominations à la magistrature (CCNM) pour des postes vacants spécifiques. Le CCNM de 13 membres, établi en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires, a recours à plusieurs critères pour évaluer les candidats : excellence professionnelle, connaissance de la communauté, caractéristiques personnelles et données démographiques. Ce dernier critère permet au CCNM de tenir compte de la sous-représentation actuelle des femmes, des personnes handicapées et des minorités, bien que l'excellence professionnelle demeure le critère prépondérant. Trois cent douze juges ont été nommés dans le cadre du processus du CCNM depuis sa création en 1989; de ceux-ci,  36,2 % sont des femmes, 7,4 % sont membres de minorités visibles et 1,6 % sont membres des Premières Nations.

L'ABC et l'ABO prennent très au sérieux la question de la diversité du système judiciaire. Depuis plusieurs années, la diversité a été un sujet de conversation entre le président de l'ABO et le ministre fédéral de la Justice lors de leur rencontre annuelle, les présidents successifs plaidant en faveur d'une grande diversité parmi les nominations judiciaires. Lors de la réunion du conseil de l'ABO en avril 2013, le comité sur l'égalité a convoqué un groupe d'experts, y compris le président du CCNM de l'Ontario, pour discuter de ces questions et recommander des stratégies et des mesures que pourrait adopter l'ABO pour réaliser des progrès plus importants au niveau provincial. Lors de l'assemblée annuelle 2013 qui aura lieu à Saskatoon, l'ABC discutera d'une résolution pour encourager le ministre de la Justice, notamment, à faire des nominations aux comités consultatifs judiciaires qui reflètent la diversité de la population canadienne (y compris le sexe, l'ethnicité et le statut de minorité), lesquelles devraient alors soumettre à leur tour des candidats qualifiés pour les nominations judiciaires qui reflètent la diversité de la population canadienne. Nous espérons qu'à la date de publication de cet article, l'ABC aura adopté cette résolution et aura fait appel à sa voix importante sur la scène nationale pour faire progresser ces objectifs importants.   

Certains soutiennent que l'ethnicité, le sexe et d'autres caractéristiques protégées sont des facteurs non pertinents lors du processus de nomination, car les juges sont censés être « objectifs » et « impartiaux ». Toutefois, l'objectivité et l'impartialité doivent être comprises de façon plus nuancées; elles ne sont pas égales à une absence de valeurs et d'expériences. La prise en considération de la diversité n'est pas incompatible avec un système de sélection judiciaire fondé sur le mérite. En fait, nous cherchons expressément à nommer des candidats qui ont non seulement démontré leur excellence professionnelle et leur compétence juridique, mais aussi qui sont actifs au sein de leur communauté, ce qui leur permet donc d'acquérir une compréhension du contexte social dans lequel naissent les conflits juridiques. Les expériences façonnent les points de vue, et les personnes d'origines différentes auront probablement des expériences différentes. Comme Lady Hale, de la Cour suprême du Royaume-Uni, en a déjà fait la réflexion, la perspective d'une minorité pourrait être considérée comme une véritable qualification professionnelle. Une plus grande diversité au sein du système judiciaire entraînera un éventail de perspectives plus riche qui seront disponibles pour évaluer les mérites de l'affaire et former le développement progressif du droit.

Les commentaires faits par la défunte juge Bertha Wilson, que la question de savoir si le sexe faisait une différence, s'appliquent tout autant aux autres dimensions de la diversité : « si les avocates et les femmes juges [et les personnes de toutes les couleurs et de toutes les origines], grâce à leurs différentes perspectives de la vie, peuvent apporter un nouveau sentiment d'humanité au processus décisionnel, elles feront peut-être une différence ». Selon nous, un système judiciaire qui représente et reflète mieux la population diverse qu'il sert est une condition indispensable pour favoriser l'accès à la justice et la primauté du droit au Canada.


Mark BerlinPaul J. SaguilAbout the Authors

Mark Berlin, professeur, Université McGill

Paul Jonathan Saguil, TD Canada.

 

 

Anna Wong Anna Wong, Landy Marr Katts LLP.

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