Dans sa décision récente concernant l’affaire Saskatchewan Human Rights Commission c. Whatcott, la Cour suprême du Canada a abordé des questions importantes concernant les limites de la liberté d’expression, la portée de la liberté de religion et des droits en matière d’égalité, et le rôle des organismes de droits de la personne en matière de réglementation de l’exercice et de la jouissance de ces droits. Dans un jugement inattendu atteint à l’unanimité (rédigé par le juge Rothstein), la Cour a affirmé la constitutionnalité des lois sur les droits de la personne interdisant les « discours haineux », tout en révisant le test pour l’établissement de la signification du terme « haine » en vertu de ces dispositions. Ce faisant, la Cour a systématiquement répondu aux critiques de telles lois, en reconnaissant qu’elles établissent un équilibre approprié entre les valeurs fondamentales sous-jacentes à la liberté et les droits et les autres valeurs essentielles à une société démocratique libre en vertu de la Charte qui leur font concurrence. Dans le résultat, la Cour a jugé que l’intimé, un membre d’une organisation appelée « Christian Truth Activists » qui avait publié des circulaires contenant différentes déclarations exprimant une opposition au « mode de vie homosexuel » avait enfreint le paragraphe 14(1)(b) du Saskatchewan Human Rights Code et lui a ordonné de payer une indemnité aux plaignants initiaux.
Cette affaire a découlé de plaintes portées par des personnes GLBT en Saskatchewan qui avaient reçu différentes circulaires intitulées, notamment, « Keep Homosexuality out of Saskatoon’s Public Schools! » (Gardez l’homosexualité hors des écoles publiques de Saskatoon!) et « Sodomites in our Public Schools » (Sodomites dans nos écoles publiques), publiées par l’intimé. Pendant une décennie, l’affaire a fait son chemin dans le Tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan, la Cour du Banc de la Reine et la Cour d’appel, avant que le dernier appel soit entendu, en 2012. En accordant l’autorisation d’appel, la CSC a indiqué les questions constitutionnelles visant à établir si le paragraphe 14(1)(b) du Code enfreignait le paragraphe 2(a) ou 2(b), de la Charte, et dans l’affirmative, si ces infractions étaient justifiables en vertu de l’article 1 de celle-ci.
À la lumière des questions juridiques et politiques importantes soulevées par cette affaire, l’appel a attiré le plus grand nombre d’intervenants de toute autre affaire devant la CSC. L’Association du barreau canadienne a été l’un des intervenants à qui l’autorisation de faire des présentations écrites et orales a été accordée (voir la p. XX pour vous renseigner au sujet de l’intervention de l’ABC). Les arguments oraux ont été animés et passionnés et les questions posées par la Cour témoignaient de la nature complexe et difficile des questions qui lui étaient soumises. La dernière fois que la CSC a traité une telle affaire, la décision a été partagée à 5 contre 4, l’opinion divergente ayant été rédigée par la juge McLachlin. L’unanimité du résultat dans l’affaire qui nous intéresse a donc étonné bon nombre d’observateurs juridiques.
Avant d’aborder les questions constitutionnelles, la Cour a profité de l’occasion pour réviser la définition de « haine » qui avait été établie lors de sa décision faisant autorité dans ce domaine, Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, qui faisait partie d’une trilogie d’affaires concernant les discours haineux en 1990. Dans Taylor, le juge en chef Dickson (pour la majorité) a défini qu’en ce qui concernait les lois sur les droits de la personne, le terme « haine » signifiait « des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation ». Au cours des deux décennies qui ont suivi, les critiques ont soutenu que le test de Taylor était vague, arbitraire et allait trop loin, et qu’il avait un effet négatif sur le débat public, l’expression religieuse et la couverture médiatique des questions de conduite morale et de politique sociale.
Dans Whatcott, la Cour a accepté que les « thèmes distinctifs des messages haineux » énumérés dans Warman c. Kouba étaient des exemples d’expressions et de propos « des plus extrêmes et flagrants » qui atteignaient le seuil envisagé en matière de « haine ». La Cour a également affirmé que l’analyse doit être objective et doit être axée non sur la nature des idées exprimées ou des sentiments subjectifs de la personne qui parle (ou de son auditoire), mais plutôt sur les effets probables de l’exposition d’un groupe protégé à la haine par les publications ou les discours contestés. Dans le cours normal des choses, des discours satiriques qui ciblent un groupe protégé, des bulletins de nouvelles concernant des discours haineux proférés par d’autres et des communications privées ne seraient donc probablement pas couverts par cette définition. Dans le résultat, la Cour a modifié la définition de « haine » utilisée par Taylor afin qu’elle puisse être appliquée objectivement pour déterminer si une personne raisonnable considérerait que l’expression contestée est susceptible d’exposer une personne ou des personnes à la détestation et à la diffamation sur la base d’un motif de discrimination interdit.
En se tournant vers la constitutionnalité du paragraphe 14(1)(b) du Code, la Cour a affirmé la portée large des protections en vertu des paragraphes 2(a) et 2(b) de la Charte et a soutenu que la disposition enfreignait les garanties de liberté de religion et de liberté d’expression. Toutefois, cette infraction était justifiée en vertu de l’article 1 parce que la réduction des effets préjudiciables et des coûts sociaux de la discrimination constituait un objectif pressant et important, et, après la suppression de la clause « ridiculise, rabaisse ou porte par ailleurs atteinte à [la] dignité » de la disposition, les limitations sur les droits en vertu de la Charte correspondaient au but visé par la loi. En particulier, la Cour a statué que les discours haineux ne favorisaient pas vraiment les valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression; en fait, ils déforment ou limitent l’échange d’idées robuste et libre en faisant taire la voix du groupe ciblé. Par conséquent, bien que l’intimé était dans son droit de prêcher contre les activités homosexuelles et d’essayer de convertir d’autres personnes à son point de vue, la liberté d’avoir et d’exprimer publiquement ces points de vue était correctement limitée par l’exigence qu’elle ne soit pas transmise par l’entremise de discours haineux.
En plus de son jugement concernant la constitutionnalité des prohibitions contre les discours haineux, la décision de la Cour est importante pour sa reconnaissance explicite du contexte plus large dans lequel la publication a eu lieu – en particulier, les antécédents de discrimination contre les personnes ayant une orientation homosexuelle et la reconnaissance relativement récente de leurs droits en matière d’égalité et de leur protection à titre de groupe vulnérable. Il est important que la Cour ait expressément rejeté l’idée – malheureusement acceptée par la Cour d’appel de la Saskatchewan – que les critiques qui viseraient la conduite sexuelle, mais uniquement lorsqu’elle est pratiquée par les personnes d’une certaine orientation sexuelle, puissent être considérées comme autre chose que des attaques fondées sur un motif de discrimination interdit.
Bien que la décision dans Whatcott soit assurément controversée et reste vulnérable à des attaques (l’intimé a déposé une demande de réexamen le 14 mars 2013), elle sera considérée comme affaire charnière en matière de droits de la personne et de jurisprudence relative à la Charte pendant de nombreuses années. Comme le soulignait la couverture médiatique avant et après l’appel, le public s’intéresse à ces questions et le débat concernant l’équilibre des droits dans une société libre n’est certainement pas terminé.
About the Author
Paul Jonathan Saguil is a member of the OBA Council and Equality Committee, and was also co-counsel to one of the interveners before the SCC.